Israël-Iran : quel danger nucléaire ?

Les habituels boutefeux médiatiques et intellectuels se sont remis au travail pour préparer l’opinion à une guerre israélo-américaine contre l’Iran. Bernard Ravenel* met ici en évidence les paradoxes de la situation.

Bernard Ravenel  • 15 mars 2007
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Nous vivons une époque formidable. Nous entrons vraiment dans un monde orwellien. En France, une énorme campagne veut nous convaincre qu’un pays dangereux, l’Iran, est prêt à nous attaquer à l’arme nucléaire. Or, cette arme est encore virtuelle pour au moins plusieurs années. Et personne ne nous dit un mot sur un autre pays ­ Israël ­ qui dispose effectivement d’armes nucléaires depuis quarante ans. Elles sont actuellement déployées pour être lancées précisément contre ce pays-là : l’Iran.

Des journaux, en Grande-Bretagne (The Independant) et aux États-Unis (The New-Yorker) , ont osé évoquer ou dévoiler des plans d’attaque américains et/ou israéliens contre l’Iran ; ils ont immédiatement été l’objet d’un démenti, qui d’ailleurs avait l’allure d’un aveu.

À partir de là, un scénario doit s’imposer dans la représentation de la réalité régionale : la menace nucléaire vient exclusivement de l’Iran ­ qui a adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), qui ne possède pas d’armes nucléaires et qui reste sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Elle ne vient surtout pas d’Israël ­ qui n’a pas adhéré au TNP, qui possède le sixième arsenal nucléaire du monde braqué sur l’Iran et sur les pays arabes, et qui refuse tout contrôle de l’AIEA.

Et comme « on » n’est pas sûr d’avoir bien convaincu l’opinion, « on » en rajoute dans les médias. Après que des centaines d’articles ont, depuis au moins quinze ans, expliqué en long et en large que la bombe nucléaire iranienne était pour demain matin, d’énormes encadrés publicitaires, non gratuits, dont l’origine n’est pas identifiée, sont publiés ad nauseam dans les principaux médias français. Ceux-ci exhortent l’Europe « à faire face au danger que font peser sur le monde les dirigeants iraniens avec leur volonté de se doter de l’arme nucléaire et de rayer Israël de la carte […], à refuser les violations du droit international et du TNP signé par l’Iran, à tirer les conséquences du marché de dupes de négociations reconduites indéfiniment sans résultat […] » (italiques dans le texte) [^2]. Signé, entre autres, par les habituels soutiens inconditionnels à la politique israélienne, ce message est explicite : pas de négociations, la guerre. Pour couronner le tout, « on » ressort Elie Wiesel pour faire un clip projeté dans les salles de cinéma et pour parrainer un meeting à Sciences-Po avec Pascal Bruckner, Frédéric Encel, André Glucksmann, etc. ([^3]).

Mais il fallait une touche d’expert pour justifier la démarche. Et « on » a trouvé, en janvier 2006, un sympathisant : Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, souvent sollicité par les médias. Dans un chat du Monde du 13 janvier, il affirme qu’ « aucun pays, même les États-Unis et Israël [sic] *, n’a l’intention de frapper l’Iran »* , et il démontre tranquillement que « l’Iran et Israël sont dans une situation totalement différente du point de vue du droit international. L’Iran s’est interdit lui-même d’avoir la bombe en signant le TNP. Israël n’a pas signé le TNP et donc son programme nucléaire n’est pas contraire au droit international » . CQFD…

L’option militaire

Pendant ce temps, après quatre ans de négociations, l’étau se resserre autour de l’Iran. Des sanctions progressives sont désormais votées et revotées par le Conseil de sécurité. Pour le moment, celles-ci se situent dans le cadre du chapitre VII, article 41 de la Charte de l’ONU, qui exclut le recours à la force. Mais il est peu probable que cette « concession » arrête la machine désormais lancée.

L’option d’une attaque aérienne contre les installations nucléaires et les infrastructures militaires et économiques de l’Iran, étudiée par les stratèges du Pentagone depuis plus de deux ans, est entrée dans une phase de préparation active en novembre 2006. Juste après la défaite des Républicains aux élections pour le Congrès et après les échecs en Irak. Le rapport Baker-Hamilton (qui préconisait un retour au dialogue) est jeté à la poubelle. G. W. Bush choisit d’envoyer en Irak 21 000 soldats supplémentaires spécialisés dans la défense des lignes de communication et dans l’installation de centaines de batteries antimissiles. Celles-ci sont destinées à contrer d’éventuelles ripostes de l’Iran, s’il est attaqué. Et c’est le déploiement progressif de la puissance aéro-navale américaine dans le golfe Persique et l’océan Indien.

Dans ce scénario de guerre, le rôle d’Israël ne doit jamais être oublié, car ce pays entend maintenir à tout prix son monopole nucléaire dans la région. Déjà impliquée dans la préparation d’ensemble avec le Pentagone, l’armée israélienne, qui aura besoin de la couverture politique et stratégique américaine si elle veut intervenir, a pratiqué plusieurs simulations d’attaques sur des installations nucléaires iraniennes.

Une campagne propagandiste effrénée, dont on a vu un petit échantillon en France, est menée en Israël pour conditionner l’opinion désormais obsédée par l’Iran.

Cette option militaire suppose aussi une campagne diplomatique active des États-Unis et d’Israël pour généraliser et renforcer les sanctions contre l’Iran et entraîner le plus grand nombre de pays dans le soutien, direct ou indirect, à l’aventure militaire…

Certes, la direction iranienne autour d’Ahmadinejad semble, avec les provocations verbales de ce dernier, ne rien faire pour empêcher la catastrophe, au point d’inquiéter une partie de l’establishment politico-religieux. Mais l’hypothèse d’un changement de régime, caressée par certains, semble peu probable dans l’immédiat, surtout si les menaces extérieures s’aggravent, renforçant ainsi le sentiment d’unité nationale contre l’« ennemi ».

L’option nucléaire

Si le problème posé est bien celui de la prolifération nucléaire, on s’aperçoit aisément que la méthode israélo-américaine ne peut qu’en provoquer une accélération irréversible, y compris en Iran. En effet, la guerre que préparent États-Unis et Israël est potentiellement, et probablement, nucléaire. D’abord, parce que des armes nucléaires sont déjà positionnées dans la poudrière régionale. Ensuite, parce qu’installer ces armes signifie braquer un pistolet avec une balle atomique dans le canon, non seulement contre un pays considéré aujourd’hui comme un ennemi, mais aussi contre tous ceux suspectés de pouvoir devenir un jour des ennemis (pays arabes, Russie, Chine, etc.). Enfin, parce que leur emploi est prévu.

Après le 11 septembre 2001, les États-Unis ont élaboré une nouvelle stratégie d’emploi de l’arme nucléaire. Désormais, ils annoncent explicitement une « attaque nucléaire préventive » contre des pays qui « envisagent » d’utiliser des armes de destruction massive. L’attaque contre l’Iran verrait donc l’utilisation d’un mélange d’armes conventionnelles et d’armes nucléaires avec des têtes de très petite puissance, d’une nouvelle génération, conçues précisément pour effacer la distinction entre armes nucléaires et armes conventionnelles. Le Pentagone s’acharne à expliquer que ces têtes sont inoffensives pour les civils et les présente comme des moyens pour construire la paix. En tout état de cause, l’extension d’un conflit ainsi nucléarisé apparaît inévitable avec des conséquences inimaginables.

Comment arrêter la prolifération nucléaire ? Soixante-deux ans après Hiroshima, nous sommes en présence pour la première fois d’un projet concret de « miniguerre » nucléaire susceptible d’être menée immédiatement. Le pouvoir américain semble partagé et peut estimer devoir reporter l’attaque préparée. Mais une provocation ­ un attentat par exemple ­ est si vite arrivée.

Et l’Europe

Comment l’Europe pourrait-elle conjurer une telle catastrophe, qui la toucherait directement ? En fait, elle a déjà proposé un compromis acceptable qu’elle semble avoir oublié et qu’il est bon de rappeler : c’est la Déclaration de Téhéran, signée par l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, le 21 octobre 2003 avec l’Iran. Celle-ci contient d’un côté l’engagement iranien à développer un nucléaire exclusivement civil sous le contrôle de l’AIEA ; de l’autre, l’engagement de l’Europe à coopérer à la « constitution d’une zone libre d’armes de destruction massive au Moyen-Orient ».

Seule en effet, la création d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient, demandée à plusieurs reprises par l’ONU, peut désamorcer le danger, y compris celui de l’Iran. Bien entendu, l’Europe n’a même pas essayé de tenir cet engagement, n’offrant à l’Iran aucune autre garantie de sécurité en cas de renonciation à l’enrichissement de l’uranium. Il lui faudrait reconnaître qu’Israël, le véritable facteur déstabilisant dans la région, devrait s’engager à mettre ses installations nucléaires sous contrôle de l’AIEA.

Bonne question, n’est-ce pas, pour les candidats à l’élection présidentielle ?

[^2]: Le Monde du 12 octobre 2006.

[^3]: Le Monde du 2 décembre 2006.

* Bernard Ravenel est président de l'association France Palestine Solidarité. Il donnera une conférence jeudi 22 mars, à 19 h, au CICP, 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris.
Monde
Temps de lecture : 7 minutes
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