Issus de l’immigration… et sarkozystes

Des Français d’origine étrangère déclarent se sentir proches des idées du candidat de l’UMP, qui multiplie les signaux en direction de cet électorat négligé par le camp socialiste.

Clotilde Monteiro  • 29 mars 2007 abonné·es

Devenir le président de tous les Français. Pour atteindre cet objectif ultime, Nicolas Sarkozy a besoin du vote des Français issus de l’immigration. L’ex-patron de la place Beauvau l’a compris de longue date en s’appropriant le champ déserté par les socialistes. Si le PS et Ségolène Royal persistent à négliger cette offre politique, le candidat de l’UMP n’a pas hésité à s’en emparer en s’adressant notamment aux musulmans, pour qui il a créé le Conseil français du culte musulman, ainsi qu’ « aux minorités visibles qui veulent s’en sortir » , en prenant fait et cause pour la discrimination positive. Si désormais certains de ces Français disent se retrouver dans le discours de Nicolas Sarkozy, l’image de rassembleur du candidat de l’UMP reste à parfaire. Au nom de la diversité, Nicolas Sarkozy a décidé de prendre la magistrate Rachida Dati comme porte-parole de campagne. Cette fille d’immigré marocain, incarnation parfaite de l’intégration méritante, travaille sans relâche pour permettre au candidat de renouer (au moins devant les caméras) avec ces jeunes des quartiers qui persistent à le rejeter.

Aux yeux de certaines personnes vivant dans ces « territoires de la République » , que le candidat de l’UMP s’est donné pour objectif de « reconquérir » , ce dernier demeure le responsable de l’embrasement sans précédent des banlieues à l’automne 2005 et de la mort des deux jeunes gens poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois. Pour autant, Nicolas Sarkozy n’exclut pas d’arriver à séduire une part de ces Français issus de l’immigration avec son discours sur la discrimination positive, la récompense du mérite et du travail, en opposant notamment les jeunes qui veulent « s’en sortir » à ceux qui « empoisonnent la vie des autres » .

Tarek Mouadane, 26 ans, marche dans la combine avec Bleu blanc rouge, une association qu’il a créée en avril 2006 pour aider les jeunes d’Argenteuil à accéder à un emploi. Ce hardi banlieusard a su saisir la balle au bond en interpellant directement le ministre de l’Intérieur, ce fameux jour d’octobre 2005 où le patron de la place Beauvau en visite dans sa ville a qualifié les jeunes de la cité de « racaille » . Il s’est vu offrir un sacré coup de pouce par Nicolas Sarkozy, qui du tac au tac a mis ses réseaux à sa disposition. Tarek Mouadane dit n’avoir « aucune conviction politique » : « J’ai accepté de travailler avec lui parce qu’il est le seul homme politique à nous avoir répondu. » Tarek se défend de tout risque d’instrumentalisation. « Sur ce registre, je suis gagnant-gagnant, puisque c’est moi qui suis allé le chercher et que je continue à interpeller les autres candidats » , précise-t-il . S’il avoue être en désaccord avec le comportement de la police face aux jeunes des quartiers, il approuve l’idée d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale « parce que tous les politiques sont passés à côté de la question, c’est pas plus mal d’avoir un seul guide ».

Slimane Haddadj, 44 ans, tient peu ou prou le même discours. Ce maître de conférences en économie, titulaire de plusieurs diplômes obtenus tout en travaillant sur les marchés, est un déçu du parti socialiste : « Le PS nous a instrumentalisés et a tué la notion de mérite. » Slimane Haddadj en veut beaucoup à la gauche de gouvernement d’être restée sourde aux problèmes des populations issues de l’immigration et de s’être contenté de porter sur celles-ci « un regard misérabiliste ». Il se qualifie aujourd’hui de « sarkozyste de gauche » , et la France qui souffre est un de ses leitmotivs. « Le PS et la gauche en général ont tendance à oublier qu’une partie de cette France en souffrance est aussi composée de commerçants, de petits entrepreneurs, etc. » Slimane Haddadj dit avoir subi un électrochoc le 21 avril 2002 : « J’ai pris conscience qu’on ne pouvait pas continuer à ignorer les électeurs qui votent Le Pen, et le seul qui l’ait vraiment compris, c’est Nicolas Sarkozy. »

La sociologue Nacira Guénif-Souilamas observe que ces nouveaux sarkozystes sont les enfants et les petits-enfants de ceux à qui on a toujours refusé une forme de visibilité et de dignité. Selon elle, « pactiser avec l’ennemi traduit une forme de lassitude profonde ou la conscience aiguë pour les plus opportunistes d’être dans un marché concurrentiel ». « Mais c’est aussi la façon ultime de se « blanchir » et de se conformer au modèle universaliste républicain. C’est ce que j’appelle le phénomène de domestication » [^2].

Pour Karim Amellal [^3], si ce phénomène est remarquable dans le sens où un tabou a été levé, le vote à droite des Français issus de l’immigration reste « microscopique » . « La plupart de ces personnes voteront Sarkozy parce qu’elles sont soucieuses de payer moins d’impôts. » Les résultats du sondage Ifop qui vient d’être réalisé pour Jeune Afrique montrent que les Français d’origine africaine représentent 3,5 à 4 % de l’électorat français et seraient 57 % à avoir l’intention de voter pour Ségolène Royal au premier tour, suivie par François Bayrou, avec 19 % des intentions de vote. Nicolas Sarkozy plafonne, lui, à 11 %.

[^2]: Dans la République mise à nu par son immigration, La Fabrique, 2006, 224 p., 15 euros.

[^3]: Auteur de Discriminez-moi ! Enquête sur nos inégalités, Flammarion, 2005, 387 p., 20 euros.

Politique
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