José Bové, une campagne hors normes
La candidature « collective » de José Bové étonne et détone. Si l’obstacle des parrainages est levé, elle devra mieux concilier inventivité et organisation.
dans l’hebdo N° 943 Acheter ce numéro
C’est le seul véritable obstacle qu’il leur reste à franchir. Vendredi soir, les militants rassemblés autour de José Bové sauront s’ils disposent d’assez de parrainages d’élus pour continuer. Lundi, le leader paysan, en déplacement à Calais, se disait « confiant » . La veille au soir, il disposait de 459 signatures, selon un pointage présenté lors d’une réunion de sa direction de campagne. Et aucun des participants n’envisageait que les 800 militants mobilisés pour cette collecte échouent si près du but. À moins d’un « bug de dernière minute » , la réunion nationale des collectifs antilibéraux, qui se tient ce week-end à la bourse du travail de Bobigny (Seine-Saint-Denis), ne sera qu’une formalité.
Certes, le maintien des autres candidatures antilibérales, la personnalisation de la campagne du syndicaliste paysan et sa faible audience dans les sondages seront vraisemblablement discutés lors de ce rassemblement décidé lors de la rencontre de Montreuil, fin janvier, pour vérifier que l’action engagée suscite « une dynamique populaire » . Mais ces critiques, rassemblées dans une contribution commune signée de Clémentine Autain, Claude Debons et Christian Picquet ( Politis n°942), n’affectent pas la détermination des militants. Selon eux, elles sont essentiellement le fait d’observateurs extérieurs à la campagne, quand le sentiment qui domine chez ceux qui la font est « largement positif » . Eux mesurent le chemin parcouru.
En un mois et demi, la candidature Bové s’est improvisée. Il a d’abord fallu constituer des « comités Bové » distincts des collectifs existants, rappelle-t-on dans son staff de campagne, où l’on précise aussi que ce souci destiné à ne pas hypothéquer un travail unitaire ultérieur est « une des raisons du retard pris par la campagne » . Lancée le 1er février « sans moyens et sans organisation préexistante » , la candidature Bové a les attributs d’une grande (candidature). Une équipe de campagne, avec une vingtaine de porte-parole. Un siège déniché dans un quartier populaire parisien, près du Père-Lachaise. Un site Internet moins artisanal que celui qui avait permis, en janvier, de recueillir plus de 40 000 parrainages citoyens. Un programme, repris des 125 propositions élaborées à l’automne par les collectifs antilibéraux avec l’aval des partis représentés alors dans le collectif d’initiative national unitaire. Des affiches et des tracts nationaux acheminés dans de bons délais aux comités qui les commandent. Enfin, deux slogans « Osez Bové », « Un autre monde est en marche » et un logo identifiable à défaut d’être bien identifié. Anémone ou coquelicot ? Le coquelicot, expliquent José Bové et ses amis, a la particularité d’être à la fois l’emblème d’une lutte sociale la Commune de Paris et un indicateur environnemental il pousse sur des terrains vierges de pollution.
Cette inventivité fait le charme et la fraîcheur des meetings de « l’Alternative antilibérale ». À chaque étape du « Bové tour » Aubagne (2 500 participants), Saint-Denis (1 500), Toulouse (3 000), Clermont-Ferrand (2 000)… , les salles débordent. La tribune aussi : jusqu’à vingt orateurs. Des politiques aguerris, parmi lesquels se rangent le communiste Patrick Braouezec, la Verte Francine Bavay, l’alternatif Jean-Jacques Boislaroussie, Claire Villiers, mais aussi Yves Salesse, aux interventions pointilleuses. Et des responsables associatifs et des « électrons libres » sans lesquels cette candidature ne seraient pas vraiment celle des « sans-voix ». Propositions, analyses et témoignages se mêlent, entrecoupés de vidéos amateurs, de slam ou de chansons. Un défilé désordonné, hors normes dans une campagne présidentielle. Chacune des sensibilités qui soutiennent la candidature Bové a droit à ses cinq minutes de lumière. Certains bavards, comme Nordine Iznasni, du Mouvement immigration banlieues (MIB), s’en octroient plus. Et si José Bové intervient brièvement, à plusieurs reprises, cela suffit à faire émerger des figures moins connues. C’est le cas d’Eros Sana.
« Le côté collectif et trait d’union est une vraie réalité » , atteste Jean-Robert Velveth. Mais cette diversité a son revers : « Les forces militantes existent, mais elles n’ont pas d’habitudes militantes ensemble » , note cet ex-attaché de presse d’Olivier Besancenot en 2002. D’où une tendance à la dispersion et une absence de professionnalisme qui place parfois le candidat en situation délicate. En déplacement, celui-ci s’est déjà trouvé en difficulté lors de conférences de presse, faute d’une structure qui aurait pu le briefer sur les réalités locales.
Cette « campagne inédite » , portée par « une indéniable dynamique militante » dans laquelle certains « s’engagent pour la première fois en politique » , rassemble plus que les candidatures Buffet et Besancenot, qui ne font « même pas » le plein « de la totalité de leurs propres partis » , se félicite Rémy Jean, l’un des initiateurs de l’appel à la candidature de José Bové. Tout en concédant la nécessité de « procéder à quelques corrections de trajectoire politiques et organisationnelles » pour « concilier rigueur organisationnelle et inventivité » . C’est le prochain défi qui attend les partisans de José Bové. Si l’obstacle des signatures est franchi…