La Chapelle est priée de dégager
À Toulouse, un pôle culturel alternatif est menacé d’expulsion.
Ses occupants défendent l’utilité d’un tel endroit au cœur de la ville.
dans l’hebdo N° 941 Acheter ce numéro
Les squats sont vus d’un mauvais oeil à Toulouse. Le 4 décembre 2006, Le Clandé, squat politique et libertaire, est expulsé. Le 13 juin 2005, Mix’art Myrys, projet culturel installé illégalement dans l’ancienne préfecture, évacue ses locaux pour s’installer en périphérie . De tous les squats nés dans la ville dans les années 1990, seule La Chapelle est encore sur place. Peut-être plus pour longtemps : menacés par un projet de logements sociaux, ses occupants pourraient être contraints de vider les lieux.
En 1993, la chapelle de la rue Casanova est à l’abandon. Dans le cadre de l’opération « La ville habitée », qui lutte contre la mainmise des intérêts immobiliers sur l’urbanisme toulousain, l’association Planète en danger occupe le lieu. Mais la vieille bâtisse et son ce jardin en friche rempli d’immondices sont trop lourds à gérer. Des membres de Planète en danger et d’autres citoyens constituent alors l’association l’Atelier idéal pour restaurer l’endroit et y faire vivre leur projet : « La poésie contre la marchandise, une ville à vivre et non à consommer » , énonce Marc Lefebvre, membre de l’association. Il s’agit de mettre en avant la culture sans jamais oublier le politique.
Le squat La Chapelle accueille des troupes subventionnées, des associations s’y réunissent. DR
Remis en état, le lieu, nommé La Chapelle, devient un pôle culturel alternatif fréquenté par une faune variée. Marginaux en quête d’expression, militants, artistes ou public huppé s’y côtoient. Des troupes subventionnées viennent y jouer, des associations s’y réunissent. « C’est un lieu de tous les possibles, hors normes, où peuvent se dérouler des manifestations qui ne peuvent exister ailleurs. », témoigne Yann, de l’Atelier idéal (<www.abri.org/atelier-ideal>). La Chappelle est un squat qui ne revendique pas son nom et en perd le visage. Des Toulousains de tous horizons s’habituent à sa magie, à ses activités, à sa longévité, oubliant peu à peu l’illégalité.
Mais un projet social va faire office de rappel. L’association Habitat et Humanisme, spécialisée dans le relogement de familles précaires, veut construire une maison-relais sur la parcelle, soit vingt logements très sociaux sur quatre étages. « Un très beau projet », selon Françoise de Veyrinas, maire adjointe de Toulouse, chargée des affaires sociales et de la solidarité. « La première menace sérieuse sur La Chapelle depuis quatorze ans », pour les membres de l’Atelier idéal. Après un procès en 1993, l’archevêché, propriétaire du lieu, n’a en effet jamais pris d’arrêté d’expulsion . Pour l’Atelier idéal, « ce projet est une tentative de transfert pour remettre ce terrain sur le marché de l’immobilier en choquant le moins possible les consciences ».
Depuis six mois, les occupants de La Chapelle multiplient les actions. Ils clament leur légitimité et l’utilité d’un tel lieu au coeur de la ville. Plus formellement, ils s’appuient sur deux points : une clause testamentaire imposant que La Chapelle soit vouée au culte à perpétuité, empêchant sa vente hors de ce cadre, et les textes régissant le statut du jardin. « Lors de la dernière révision du plan local d’urbanisme, le 17 février 2006, le jardin de La Chapelle a été déclaré inconstructible » , explique Claude Pommard, président de l’Association pour la défense de l’habitat traditionnel toulousain. Mais un certificat d’urbanisme, délivré in extremis, permet à Habitat et Humanisme de dépendre de l’ancien Plan d’occupation des sols, donc de construire sur le jardin. Françoise de Veyrinas affirme « ne pas être en mesure d’expliquer cette contradiction » .
Face aux complications juridiques et à la médiatisation de cette affaire, la direction nationale d’Habitat et Humanisme se désolidarise, en janvier, de son antenne toulousaine en annonçant le retrait du projet dans la Dépêche du Midi . Le 12 février, l’antenne toulousaine dépose une demande de permis de construire pour un nouveau projet, préservant La Chapelle et le jardin. « On dépose le permis pour neuf appartements, explique Jean Crosnier, responsable de la commission logement d’Habitat et Humanisme Toulouse. Et nous allons proposer à l’association de cohabiter. »
Une offre qui arrive un peu tard pour les occupants. « On ne leur fait pas confiance. Et puis leur projet et le nôtre sont contradictoires. Ils ne font que gérer la misère tandis que nous la refusons. Si on est sur le lieu depuis quatorze ans, c’est pour défendre des idées. On veut garder La Chapelle mais pas à n’importe quel prix. » L’Atelier idéal ne cohabitera pas avec Habitat et Humanisme. Ce sera La Chapelle ou les logements sociaux.