L’adieu aux Seychelles
dans l’hebdo N° 945 Acheter ce numéro
L’âge d’or du consumérisme kilométrique est derrière nous. Au moment où le milliardaire Richard Branson veut mettre le tourisme spatial à la portée de tous ( le Monde , 19 avril 2006), le très orthodoxe Financial Times (10 novembre 2006) lui-même reconnaît, désenchanté : « Le tourisme sera de plus en plus considéré comme l’ennemi environnemental public mondial numéro 1. »
Le désir de voyages et d’aventure est sans doute inscrit au coeur de l’homme, et cette source d’enrichissement ne doit pas se tarir. Mais la curiosité légitime et l’enquête éducative ont été transformées en consommation marchande destructrice de l’environnement, de la culture et du tissu social des pays « ciblés » par l’industrie touristique. Le « bougisme » se déplacer toujours plus loin, plus vite, plus souvent, et moins cher , manie largement artificielle entretenue par les médias et les voyagistes, doit être revu à la baisse. Et l’écotourisme et le tourisme éthique (équitable, responsable, etc.) que l’on propose à la place ne visent-ils pas à prolonger la survie d’une activité marchandisée condamnée ?
L’alibi d’aider au « développement » du Sud est fallacieux. D’après Artisans du monde, sur un forfait vacances de 1 000 euros, 200 seulement reviennent en moyenne au pays hôte. Pénurie de pétrole et dérèglement climatique obligent, l’avenir sera : toujours moins loin, moins souvent, moins vite et plus cher. À vrai dire, ce n’est dramatique qu’en raison du vide et du désenchantement qui nous font vivre de plus en plus virtuellement mais voyager réellement, aux dépens de la planète.
Il nous faut réapprendre la sagesse des âges passés, comme nous y invite Bernard Revel : « Autrefois, partir en voyage était une aventure pleine d’imprévus, de temps et d’incertitudes […]. Mais le plus souvent, homme aux semelles enracinées, on restait sur sa terre natale. Un clocher au centre et tout autour l’horizon délimitent un territoire suffisant pour une vie d’homme. Entre mille possibles, choisir celui que propose le hasard dans le lieu même où il nous fait naître, ce n’est pas forcément un manque d’imagination. Cela peut même être le contraire. Il ne faut pas bouger pour que l’imagination déploie ses ailes [^2]. » À la différence des 750 peuples papous, condamnés pendant des millénaires à vivre toute l’expérience humaine dans l’horizon borné de leur canton (ce dont ils ne semblaient pas souffrir outre mesure), nous avons la chance inouïe, grâce aux merveilles de la technologie, de pouvoir voyager virtuellement sans quitter notre foyer. Et puis, l’aventurier dans l’âme pourra toujours se rendre en planche à voile aux Seychelles. Si celles-ci existent encore…
[^2]: Journal de la pluie et du beau temps, Bernard Revel, Trabucaire, Canet, 2005.