Le choix du « troisième homme »

Michel Soudais  • 1 mars 2007 abonné·es

Chaque campagne présidentielle a désormais son « troisième homme ». On ne sait plus quand l’expression a été forgée, mais on se souvient qu’en 2002 c’est ainsi qu’était désigné Jean-Pierre Chevènement. Du moins plusieurs semaines avant le 21avril. Depuis, ce label a quelque peu perdu son sens propre. Il ne désigne plus le candidat arrivé derrière les deux finalistes. Si c’était encore le cas, cette année, l’expression serait d’ailleurs impropre : quand l’un des deux premiers est une femme, le troisième est en fait le… deuxième homme. Reste le sens figuré, où la formule désigne surtout le candidat capable de casser la monotonie du duel annoncé, mais aussi de renverser la table.

Le « troisième homme », c’est la vedette américaine d’une présidentielle, le candidat que l’on va chercher pour faire patienter les spectateurs-électeurs avant le final des vedettes ou mettre un peu de piment dans un suspense trop convenu. C’est aussi celui qui veut faire « turbuler le système » , comme disait Jean-Pierre Chevènement. Il y a un peu de tout cela chez François Bayrou, seul candidat à avoir suivi une courbe ascendante dans les sondages, se hissant de 7 à 17 % en l’espace d’un mois et demi.

Le Béarnais ne cache pas son intention de faire bouger les lignes. Il accuse la « guerre perpétuelle » entre le PS et l’UMP d’être responsable du « déclin » de la France, veut « sortir de l’affrontement gauche-droite » qu’il juge « préhistorique » , et n’exclut pas, une fois élu, de nommer un Premier ministre « de gauche » . Un projet conforme à l’évolution de l’UDF. Sous son impulsion, la formation de centre-droit, privée en 2002 d’une partie de ses troupes qui a rejoint l’UMP, est passée d’une stratégie d’autonomie à une opposition au gouvernement et à la majorité. Après avoir voté en 2003 la réforme des retraites, pourtant jugée « inachevée », puis celle de l’assurance-maladie en 2004, une majorité de députés UDF ont voté contre le budget en 2005 et en 2006, contre celui de la Sécurité sociale plus récemment. Ils ont aussi voté la motion de censure présentée par le PS contre le gouvernement Villepin, le 16 mai dernier. EtFrançois Bayrou assure désormais qu’il « ne rentrera pas au bercail » de la droite et n’a « aucune intention de retrouver les formes du passé » .

Candidat de la réconciliation, qui veut « pouvoir faire travailler ensemble des gens différents » et « gouverner avec des gens importants (sic) de gauche et de droite » , le nouveau Bayrou séduit. À en croire les sondages, ces partisans viendraient pour deux tiers de la droite et pour un tiers de la gauche. Mais il y a loin de la promesse des sondages aux urnes. Car l’histoire enseigne plutôt que la position du « troisième homme » est des plus risquées. Inconfortable, elle est souvent précaire. Celui qui l’occupe devient vite l’homme à abattre, la cible de l’UMP et du PS. Longtemps ignoré de ses adversaires, le président de l’UDF en fait aujourd’hui l’expérience. Il ne faudrait pas toutefois que les projecteurs médiatiques et la focalisation des fines gâchettes de l’un et l’autre camp sur le perturbateur centriste fassent oublier jusqu’à l’existence de l’autre « troisième homme ».

Au regard de ses scores passés et des sondages, meilleurs qu’ils étaient à la même période en 2002, Jean-Marie LePen reste un sérieux candidat au titre. Le président du Front national veut aussi bousculer le clivage droite-gauche. Àsa façon. Quand François Bayrou veut redresser la France en constituant « un gouvernement d’union nationale » , lui laisse poindre son inclination pour un gouvernement de salut public formé de « patriotes » . L’un présente un programme de « sociale-économie » conçue comme la réconciliation des aspirations sociales avec le libéralisme. L’autre réconcilie, en discours, le national et le social dans une inquiétante synthèse.

« Candidat du peuple » , comme il se présente lui-même, Jean-Marie Le Pen n’a pas renoncé à conquérir l’électorat de gauche. À Lille, où il s’en est pris au « capitalisme total » et « sans-projet » , dont il dénonce le caractère « prédateur » , le chef de file de l’extrême droite a donné à son propos un tour anticapitaliste inédit. À l’entendre, il serait le seul à ne pas « être ultralibéral » . Le seul à pouvoir être « le Président de la majorité du « non », celle du 29 mai » . Si Bayrou peut débaucher quelques profs et hauts fonctionnaires, ce sont des électeurs populaires par paquets que Le Pen menace d’embarquer, si la gauche déçoit. Il y a tout lieu de s’en préoccuper.

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