L’hôpital public saigné par la rentabilité
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L’enquête sur la situation budgétaire des établissements hospitaliers réalisée fin 2006 par la Fédération de la santé et de l’action sociale de la CGT dit tout haut ce que beaucoup de professionnels pensent tout bas. À la veille des élections, le gouvernement veut rassurer l’opinion sur la baisse du déficit de la Sécurité sociale. Or, contrairement à ce qu’il affirme, ce n’est pas un hôpital sur trois, mais deux sur trois, qui connaîtraient une situation déficitaire. En effet, d’après les chiffres de l’enquête
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, 68 % des établissements rencontrent un déficit de 3 %. Le tiers restant ne se porte pas beaucoup mieux puisque 90 % des centres hospitaliers universitaires (CHU) ne parviennent pas à équilibrer leur budget. La Fédération des hôpitaux de France (FHF) parle, quant à elle *, « d’un sous-traitement global d’un milliard d’euros en 2006 ».* Nadine Prigent, secrétaire générale de la CGT santé, estime que « l’objectif dévoilé de réduire les dépenses de l’assurance maladie met en danger le fonctionnement des hôpitaux publics » .
Comment expliquer cette différence d’appréciation entre le gouvernement et les syndicats ? « Personne ne conteste l’enquête de la CGT. Tous les hôpitaux sont en déficit, ce n’est pas nouveau », explique Bruno Devergie, vice-président du Syndicat des praticiens des hôpitaux publics (SPHP). L’année 2006 se distingue toutefois par une aggravation de la situation. Et ceci, alors même que le mode de financement a changé, avec l’objectif, justement, de réduire les dépenses. En effet, depuis 2004, avec la tarification à l’activité (T2A), et 2006, avec l’état des prévisions des recettes et des dépenses (EPRD, voir encadré), le financement de l’hôpital public se calque sur celui des cliniques privées, dans l’objectif d’accroître la rentabilité.
Pour Bruno Devergie, « c’est une forme de privatisation des hôpitaux qui n’est pas avouée mais existe de fait » . Seulement, l’exigence de rentabilité se heurte à la mission de service public de l’hôpital. « La T2A augmente le déficit. Car certaines activités ne peuvent pas être rentables mais font partie des missions de l’hôpital public. Contrairement aux cliniques privées, celui-ci doit prendre en charge tous les patients. Et souvent, en tant que CHU, il doit développer aussi toutes les spécialités, même celles qui ne rapportent pas » , précise le praticien. Cette contradiction a pour résultat de creuser les déficits mais aussi d’obliger les hôpitaux à les masquer puisque leur financement futur dépend de leur rentabilité actuelle. « Officiellement, il n’y a pas de déficit. Pour la simple raison que les établissements ont recours à divers procédés pour rééquilibrer, à la dernière minute, leur situation budgétaire, comme n’importe quelle entreprise commerciale » , ajoute Nicolas Péju de la FHF. D’où le hiatus entre le gouvernement et la CGT.
Quels sont les procédés qui consistent à reporter à plus tard les difficultés actuelles ? Yves Gaubert, responsable « Finances » de la FHF, admet que « le principal ajustement se fait en termes de personnel. Il s’agit de jouer sur les non-remplacements ainsi que sur les départs à la retraite. Et d’embaucher plus de personnel contractuel » . Avec 77 % de leur budget consacrés au personnel, il est tentant pour les hôpitaux de compenser leur manque de moyens par des économies sur les effectifs, alors que, paradoxalement, les établissements en manquent. En dépit de la volonté affichée du gouvernement de ne faire des économies que sur les 23 % restants du budget, la CGT estime que « 10 000 emplois ont été soit gelés, soit supprimés en 2006 dans des plans de redressement, et 17 % des emplois sont précaires ».
Une autre manière de dégonfler les chiffres des déficits est de piocher dans les provisions destinées aux « comptes épargne-temps ». Ces comptes compensent la difficile mise en oeuvre des 35 heures à l’hôpital. Ils permettent aux salariés d’accumuler des jours de congés rémunérés ou de bénéficier d’une rémunération en contrepartie des périodes de congés non prises* . « En piochant dans ces provisions, on ne fait rien d’autre que reporter une charge sur l’avenir. Si tous les médecins décident de prendre leur compte épargne en même temps, c’est la catastrophe ! », lance Yves Gaubert.
Par ailleurs, l’EPRD oblige les établissements à entrer dans leurs prévisions budgétaires. Pour parvenir à l’équilibre, il leur permet de piocher dans les « fonds de roulement ». Ceux-ci proviennent de la part fixe allouée par l’assurance maladie pour les « missions de service public » . Elle correspond aux 50 % restants du budget. Les établissements sont aussi contraints d’aller puiser dans les « provisions d’investissement ». Cependant, utiliser les économies de l’hôpital pour son fonctionnement entraîne la diminution de la part consacrée à l’investissement. C’est pourquoi, après un Plan hôpital 2007, le gouvernement propose un Plan hôpital 2012, qui prévoit dix milliards d’euros de subvention. « Comme les hôpitaux s’équilibrent sur les provisions, ils n’ont pas pu provisionner suffisamment pour l’investissement comme le prévoyait le plan 2007. Le gouvernement a alors dû réamorcer la pompe », explique Nicolas Péju. Quant à compenser les déficits liés à l’activité grâce aux fonds de roulement, « ça ne marche qu’une fois » , prévient Yves Gaubert.
Enfin, il est toujours possible pour les établissements d’avoir recours aux emprunts. Ou de vendre une part de leur patrimoine immobilier. Et là, « l’argent ainsi gagné va dans une enveloppe commune au public et au privé. Quand le public vend son patrimoine, le privé récupère une partie des gains », affirme Bruno Devergie. Ou comment le déficit public sert à financer la rentabilité du privé ! Avec un même financement mais des missions différentes, la partie est inégale entre le privé et le public, et les déficits rééquilibrés in extremis en 2006 réapparaîtront fatalement en 2007. À cette inégalité s’ajoute celle qui existe entre les patients, comme une étude de la FHF le rappelle : « Les inégalités de santé s’aggravent, et particulièrement pour les populations les plus vulnérables. »
Vulnérables parce que non-rentables pour l’hôpital ?
[^2]: Enquête menée sur un échantillon d’établissements qui regroupent 20 % des personnels, et dont le budget représente 31,21 % de l’enveloppe nationale.