L’hypercapitalisme

Rémy Artignan  • 29 mars 2007 abonné·es

De tous les livres sur la décroissance, voici celui qui en parle le moins. Paul Ariès, politologue et écrivain spécialisé dans les méfaits de la mondialisation, s’affranchit ici de la pédagogie habituelle des objecteurs de croissance. Le Mésusage est avant tout un « essai sur l’hypercapitalisme » , terme désignant la nouvelle étape du capitalisme, qui aurait remplacé la société de consommation. L’auteur étudie point par point les nouveaux mécanismes de production et de consommation, et les éclaire par des références économiques, sociologiques et psychologiques récentes. Il en ressort une dégradation générale du travail et de la consommation, aboutissant au concept de mésusage. En effet, si « le capitalisme refoulait l’usage pour imposer la valeur » , l’hypercapitalisme, lui, vise le mésusage et en tire une valeur marchande plus grande encore. Il y a mésusage lorsque la valeur d’un bien s’émancipe de son utilité véritable (spéculation immobilière) ou ne reflète plus les coûts de production, par exemple lorsque les coûts environnementaux ou humains ne sont pas pris en compte. « La production d’usage est même interdite si elle se heurte aux possibilités de tirer un profit maximal ou nouveau. » L’interdiction des semences paysannes ou les mesures anticopie en informatique correspondent à ce mécanisme. L’auteur en vient ainsi à formuler « l’hypothèse de la rationalité du mésusage dans l’économie mondiale » . L’objectif des néolibéraux ne serait plus la marchandisation du monde mais sa vénalisation : « La malbouffe, l’urbanisme pourri, la télé-poubelle ne sont pas des accidents, mais les meilleurs fruits de ce système économique » , car les plus rentables.

Selon l’auteur, l’hyperconsommation se fonde sur la notion de « consommation expériencielle » : on n’achète plus des produits et des services mais des expériences et des identités. Les représentants de la *doxa libérale en conviennent eux-mêmes : on consomme aujourd’hui pour exister et non pour vivre .

Partant du principe que « le vénal n’a de cesse de chasser le gratuit sous toutes ses formes » , Paul Ariès propose donc d’attaquer le système par cet « interdit majeur ». « Gratuité de l’usage et renchérissement du mésusage » font office de nouveau paradigme pour aborder une société de décroissance. « Un revenu inconditionnel d’existence et un revenu maximal autorisé » permettraient en outre de sortir de l’impasse et de chercher librement de nouveaux usages.

Non consensuel, ce petit ouvrage fait avancer la réflexion sur le capitalisme et sur ses implications sociales, culturelles et psychologiques. Une façon originale d’aborder les théories de la décroissance.

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