Mais ou est donc passée l’Europe ?
Le cinquantième anniversaire du traité de Rome n’a donné lieu à aucune célébration. Et la question européenne est presque absente des débats de la campagne. Elle conditionne pourtant largement la politique nationale.
dans l’hebdo N° 944 Acheter ce numéro
Curieuse campagne. Deux ans après la controverse référendaire, pour laquelle tout le pays s’est passionné, l’Europe n’apparaît plus comme un sujet de débat. Sinon à la marge. Certes, les candidats ont tous dans leurs bagages quelques idées sur l’avenir de l’Union européenne et les moyens de la débloquer, mais ils ne s’appesantissent guère. Moins encore sur les moyens de parvenir aux objectifs qu’ils s’assignent. Comme s’ils redoutaient le feu qui couve sous les braises rougeoyantes de l’insurrection électorale du 29 mai 2005.
Le cinquantième anniversaire de la signature du traité de Rome, le 25 mars 1957, ne donne lieu à aucune manifestation d’envergure dans l’Hexagone. Dommage. Car cet anniversaire aurait été une occasion de rappeler les liens le mot est à entendre dans toutes ses acceptions qui unissent notre pays à l’Europe. Par le biais des traités successifs, de décisions, de directives et de règlements, sans oublier la jurisprudence de la Cour de justice, ni les décisions de la Banque centrale européenne (voir p. 9), la construction européenne a progressivement réduit la marge de manoeuvre des gouvernements. « Il faut savoir que les pays ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent » , déclarait le commissaire européen Pedro Solbes, en février 2001.
Manu Larcenet
À l’Élysée, Jacques Chirac l’a éprouvé. Élu en mai 1995 sur un programme de lutte contre « la fracture sociale » , il l’abandonne en novembre au profit d’une politique de réduction des déficits publics, imposée par les critères de Maastricht. En 2002, pour sa réélection, il promet d’abaisser à 5,5 % le taux de TVA dans la restauration mais, cinq ans après, cette promesse n’a pas été tenue, faute d’un accord des autres gouvernements européens.
Michel Barnier, alors commissaire européen, avait prévenu ( Libération , 12 février 2002) : « La plupart des décisions que les candidats vont s’engager à prendre avec la confiance du peuple ne relèvent plus d’eux seuls. Transports, énergie, environnement, agriculture, industrie, protection des consommateurs, sécurité alimentaire, immigration, tout cela et bien davantage relève d’un pouvoir partagé avec l’Union européenne. […] Même les décisions qui relèvent totalement ou principalement d’une compétence nationale ne peuvent plus être prises sans un regard pour ce qui se passe autour de nous. »
Le Conseil européen de printemps des 8 et 9 mars fournit un nouvel exemple de cette « ingérence » en remettant implicitement en cause le droit du travail, qui relevait jusqu’ici d’une compétence nationale. Il envisage en effet d’élaborer « une série de formules de flexisécurité en vue de trouver la panoplie de mesures la mieux adaptée aux besoins du marché du travail » sur la base des propositions de la Commission, qui avoue, dans son récent « Livre vert » sur la question, vouloir « combiner des formes nouvelles plus flexibles de travail avec un minimum de droits sociaux ».
Rarement évoqué, cet encadrement européen de la politique nationale est pourtant essentiel. La faisabilité des promesses électorales, pas toujours « euro-compatibles », en dépend. Réserver une part des marchés publics aux PME, comme le suggèrent Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy ? Le droit communautaire l’interdit. « Préserver des services publics de qualité » ? Difficile, voire impossible, quand on se souvient que les Pays-Bas ont été sommés de revoir à la baisse le nombre de leurs logements sociaux, pour cause d’entrave à la libre concurrence. « Créer un pôle public de l’énergie EDF et GDF » ? Bonne idée de Mme Royal, qui se heurte au droit de la concurrence. Un dogme tel que le Conseil constitutionnel a estimé, le 30 novembre, que la fixation des prix pour les particuliers par l’État « méconnaît manifestement l’objectif d’ouverture des marchés concurrentiels de l’électricité et du gaz naturel fixé par les directives » , ouvrant la voie à une envolée des prix dès juillet. Nicolas Sarkozy affirme, devant des agriculteurs, que « ce n’est pas aux commissaires européens d’aller négocier à l’OMC » mais au président de la Commission, et qu’ « il faut négocier de manière différente » ? Le commerce international n’est plus de la compétence des États membres.
Ainsi ligotés, les candidats n’ont de choix qu’entre l’accompagnement ou l’affrontement, qui, seul, peut permettre de reconquérir des marges de manoeuvre. Rares sont ceux qui l’envisagent.