Ségolène Royal : pas de tournant à gauche
Dans le débat politique que nous connaissons, la première tâche est de démystifier. Lorsque Nicolas Sarkozy parvient à convaincre une partie des couches populaires qu’il veut résoudre leurs problèmes, que François Bayrou tente une partie de l’électorat de gauche, nous devons redoubler notre travail d’explication. Montrer notamment que Sarkozy, malgré sa volonté proclamée de « faire reconnaître la valeur du travail » , est le candidat du Medef. Mais taper encore et toujours en priorité sur la droite ne veut pas dire taire notre critique de Ségolène Royal.
Derrière les grandes phrases, il y a les mesures. Certaines sont bonnes, d’autres moins, d’autres mauvaises. Notre critique principale est qu’elles ne permettent pas de rompre avec le libéralisme économique ni de contrer les menaces sur l’environnement. Elle le dit : il s’agit d’une « politique d’alternance » . Or, une véritable politique de gauche exige trois choses indissociables : s’attaquer au pouvoir des puissances financières, répartir autrement les richesses, ne pas laisser agir l’Europe libérale. Les propositions de Ségolène Royal ne répondent à aucune de ces exigences. Elle confirme ses mots : « Je ne déferai pas pour le plaisir ce qu’a fait la droite » en n’envisageant pas l’abrogation de nombre de lois ayant marqué de graves régressions.
Emploi. Une politique industrielle ne peut exister qu’avec un secteur public fort, dont Ségolène Royal ne dit rien, sauf pour EDF-GDF. Réserver une part des marchés publics aux PME est interdit par le droit communautaire et donc impossible sans confrontation. Les « modulations » de cotisations sociales ou d’impôt sur les sociétés en fonction de leur politique d’emploi ou d’investissement sont en pratique des exonérations dont l’effet sur l’emploi n’a jamais été démontré.
Nous prévoyons le réexamen de toutes les aides publiques aux entreprises privées (65 milliards) et la suppression des exonérations de charge (plus de 25 milliards), le développement de l’économie sociale et solidaire, la création massive d’emplois dans les services publics, l’extension des 35 heures, l’interdiction des licenciements par les entreprises ou les groupes faisant des profits, de nouveaux droits d’intervention des salariés et des collectivités (nos commissions régionales de développement) sur les décisions des entreprises. Ségolène Royal parle de « Sécurité sociale professionnelle ». Ce n’est qu’une mesure de très courte durée (90 % du salaire du travailleur licencié pendant un an, sous conditions), dont on ignore le financement. Nous proposons le maintien du salaire, du contrat de travail et des droits associés, mesure assurée par un fonds financé par les profits des entreprises.
Niveau de vie. Le Smic à 1 500 euros brut dans cinq ans n’apporte rien par rapport à sa progression actuelle. L’augmentation des « petites retraites » et des allocations pour handicapés de 5 % est dérisoire. 30 euros de plus, ce n’est même pas le prix d’un café par jour. Ses propositions sur les retraites sont très floues et n’évoquent pas l’abrogation des réformes de la droite. Ce saupoudrage n’améliorera pas la vie des couches populaires.
Services publics. Les services publics, outils essentiels de l’amélioration du niveau de vie par la solidarité collective, n’occupent pas une place importante dans les propositions de Ségolène Royal : quelques phrases générales, la référence permanente à l’école chargée de tout résoudre, plus la création du service public de la petite enfance et de celui de la caution. On ne trouve aucune remise en cause des privatisations, ni même l’engagement de ne plus privatiser, ni la nécessité de s’opposer aux libéralisations européennes et à l’AGCS.
Nous proposons l’amélioration des services publics existants (moyens et participation des usagers) et la création de nouveaux services publics : petite enfance, logement, personnes âgées et dépendantes, médicaments, déchets, eau, environnement.
Europe. Il n’y a aucune remise en cause de l’Europe libérale et antidémocratique, mais des phrases, encore plus édulcorées que jadis, en faveur d’une Europe qui « tire vers le haut le niveau de vie et la protection sociale » grâce à un « protocole social » dont on ne sait pas ce qu’il apporterait de plus que la charte intégrée dans le traité constitutionnel.
Ségolène Royal propose un « traité institutionnel » qui maintiendrait donc les traités actuels sur le fond, c’est-à-dire la suprématie de la libre concurrence. Elle prétend « préserver des services publics de qualité » , comme si c’était compatible avec les règles actuelles. Elle ne remet pas en cause l’indépendance de la Banque centrale européenne. La presse a ajouté un point qui n’a pas été démenti : le respect du pacte de stabilité. Ségolène Royal serait sur ce point en retrait par rapport à Raffarin et Schröder, qui s’étaient assis dessus.
Répartir autrement les richesses. Comme rien n’est dit sur le financement, il n’est même pas certain que ces timides mesures seront appliquées. Surtout, rien n’est dit sur le transfert que le capital a opéré à son profit depuis vingt-cinq ans : 10 % du PIB (certains chiffrages donnent même 12 %), soit, pour un PIB 2005 supérieur à 1 800 milliards, au moins 180 milliards chaque année à venir. Ne pas s’attaquer à ce détournement signifie renoncer d’emblée à changer véritablement les choses. Ces propositions ne sont pas « social-démocrates » ; elles sont seulement « social-libérales ».
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