Totale rupture

À la différence de la tradition gaulliste, le candidat de l’UMP n’hésite pas à porter bien haut l’étendard du libéralisme. Il veut représenter une droite décomplexée.

Michel Soudais  • 29 mars 2007 abonné·es

Homme de coups ou de convictions ? Quel est le vrai Sarkozy ? Le ministre qui parle de « discrimination positive » et nomme un « préfet musulman » avec « la conviction qu’il faut aussi, sur ces sujets, faire bouger les lignes » [^2] ? Ou le président de parti qui ne veut « pas faire une discrimination positive sur des critères ethniques, qui serait la négation de la République »
[^3] ? Car, à force de parler à des auditoires différents, le candidat de l’UMP ressemble à un caméléon.
« Certains en France m’appellent Sarkozy l’Américain. J’en suis fier… Je partage beaucoup de valeurs avec l’Amérique », déclare-t-il devant le Congrès juif mondial, le 24 juin 2004. Avant de se raviser deux ans plus tard, à Nîmes : « Je crois au destin de la France. La France a tout pour réussir dans ce monde à venir. Il faut réaffirmer la fierté d’être français. »

Le pragmatisme, dans lequel Renaud Dutreil voit « sa marque » , n’est pas exempt de calculs cyniques : « Nicolas veut gagner, il doit donc rassembler et élargir. Peu importe, par exemple, la sincérité de son discours gaulliste social d’Agen » , confiait sans détour ce ministre, proche du Medef et tôt rallié au président de l’UMP, à un journaliste du Monde , le 4 septembre 2006. Ne serait-il donc qu’un ambitieux sans scrupules ?

Si l’ambition, la volonté de briguer les plus hautes fonctions et l’irrésistible envie de mettre en scène son ascension apparaissent comme les invariants de sa carrière ­ depuis la prise de la mairie de Neuilly à la conquête de l’UMP, parti qui ne lui était pas destiné, en passant par le choix d’Édouard Balladur en 1995 ­, Nicolas Sarkozy est aussi porteur d’un projet politique inédit. « Je veux être président de la République pour changer la manière de diriger la vie publique, exploser le clivage droite-gauche et déringardiser la droite » , explique-t-il à l’automne 2005 au journaliste Michaël Darmon [^4], qui forge un peu complaisamment le portrait d’un Sarkozy de droite et de gauche.

De sa longue fréquentation de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a retenu une grande plasticité et une réactivité hors du commun. Un art consommé de la démagogie également. Mais, à la différence de son mentor, le président du conseil général des Hauts-de-Seine affiche bien haut l’étendard du libéralisme et d’une droite décomplexée qui affirme ses valeurs : ordre, travail, effort, volonté, mérite, grandeur, autorité, responsabilité… D’où sa revendication de « rupture » autant avec le gaullisme que le giscardisme. « Cette rupture , explique Brice Hortefeux [^5], fidèle entre les fidèles, doit être comprise comme une indispensable volonté de s’adapter aux nouvelles exigences du monde. »

Celles-ci découlent d’abord de la mondialisation économique, présentée comme un fait. Plus qu’une adaptation, c’est une mise aux normes de celle-ci que propose Nicolas Sarkozy. La mise en cause du droit du travail, le recours à un bouclier fiscal accru pour supprimer de fait l’ISF, la quasi-suppression des droits de succession, la réduction drastique du nombre de fonctionnaires ou la diminution des dépenses publiques dessinent une société de compétition qui sonnerait le glas des droits collectifs et de la cohésion sociale. Une société de rentiers, où l’argent va à l’argent.

Cette adaptation est aussi électorale. Confronté au déclin démographique de l’électorat traditionnel de la droite (agriculteurs, commerçants, artisans, professions libérales), Nicolas Sarkozy a fait de la conquête des classes moyennes salariées et des cadres un objectif stratégique, sans négliger les couches populaires séduites par le FN. D’autant que les progrès de l’individualisme au sein de ces dernières les rendent réceptives à un discours social uniquement fondé sur le mérite individuel et niant les inégalités et les rentes. Un discours d’ordre, national et autoritaire [^6], servi par une agressivité verbale gouailleuse. Qui confie une mission morale publique aux religions, et développe une vision naturaliste de la société : « J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions pas soigner cette pathologie » , déclare Nicolas Sarkozy, dans le dernier numéro de Philosophie magazine , en réponse aux questions du philosophe Michel Onfray. « Il y a 1 200 adolescents ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable » , ajoute le candidat de l’UMP.

Une telle régression dans la pensée politique constitue effectivement une rupture avec plus de deux siècles d’émancipation.

[^2]: France 2, 22 novembre 2003.

[^3]: Périgueux, 12 octobre 2006.

[^4]: La Vraie Nature de Nicolas Sarkozy, Michaël Darmon, Seuil, 238 p., 18 euros.

[^5]: Le Monde, 2 septembre 2006.

[^6]: « Notre pays a un fort besoin d’autorité, il faut le satisfaire » (le Progrès, 23 février 2006).

Politique
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