Université Paris-VIII : leçons de résistance
dans l’hebdo N° 942 Acheter ce numéro
Des étudiants sont SDF , lâche Pascal Binczak, il faut le savoir. » Le nouveau président de l’université de Paris-VIII (Saint Denis), en poste depuis octobre 2006, garde à l’esprit le cas de ce jeune homme qui, submergé de mal-être et de problèmes matériels, pète les plombs et brise une porte de la fac. Il évoque « une précarité galopante », notamment dans sa filière, le droit public. Or, les candidats à l’élection présidentielle ne se hasardent guère à aborder le sujet, sauf en termes vagues. Quant aux candidats aux législatives, ils sont surtout préoccupés par la création ou la sauvegarde d’antennes universitaires ou de mini-facs, qui flattent leur ego mais manquent de tout ce qui fait l’environnement scientifique et intellectuel d’un grand centre universitaire.
La gauche et la droite ont trop cédé à une inflation destinée à rassurer l’opinion. Les politiques agissent comme si la planète universitaire n’était qu’un univers lointain, alors qu’elle accueille plus d’un million et demi d’étudiants. Lesquels sont trop souvent présentés comme de futurs chômeurs, comme si « l’excellence » ne se trouvait que dans les grandes écoles, qui dépensent treize à quatorze mille euros par étudiant, contre sept à huit mille pour les universités.
Argument de la droite et du gouvernement : si les droits d’entrée étaient plus élevés et les étudiants présélectionnés, il y aurait moins d’inscrits et moins d’échecs. Mais, à l’inverse, si l’effort financier et les bourses étaient plus importants, il y aurait certainement moins d’échecs. « J’ai des étudiants qui travaillent très tôt le matin ou la nuit, explique un enseignant. Ceux qui travaillent longtemps et à temps plein dans des emplois pénibles sont de plus en plus nombreux. »
Dans un livre qui vient de paraître, Fac, le grand merdier ? Pour en sortir : confidences d’un président d’université [^2], rédigé à traits caricaturaux parfois à la limite du supportable , l’ex-président de Paris-VIII, Pierre Lunel, évoque la « démocrasouille universitaire », une expression empruntée à l’extrême droite des années 1930. Il préconise des « mesures phares » telles que l’augmentation des droits, la sélection à l’entrée et la livraison des facs au privé. Dans son pamphlet, ce flamboyant personnage, qui fut un temps responsable des fictions de FR 3, propose ni plus ni moins de « réinventer les facultés » . Sans que l’on sache si elles doivent ressembler à celles qu’imagine Nicolas Sarkozy ou à celles que voudrait Dominique de Villepin, auprès de qui Pierre Lunel est, depuis peu, délégué interministériel à l’orientation.
Ces premières « mesures phares » appellent deux interprétations. Ou bien c’est le début d’une offensive libérale d’envergure, ou bien c’est un chiffon rouge que le Premier ministre agite pour perturber la campagne du président de l’UMP. Il suffirait, pour trancher, de confirmer l’annonce faite il y a quelques jours, dans la discrétion, d’une mise en place progressive d’un système de sélection moins hypocrite que celle qui est organisée dans certaines universités, ainsi que d’une forte augmentation des droits d’inscription, qui pourraient grimper jusqu’à 1 500 euros par an. En attendant mieux, c’est-à-dire en laissant, au nom de l’autonomie, les universités fixer elles-mêmes ces droits d’inscription.
Alors que la Conférence permanente des présidents d’université, réunie à Strasbourg mi-février, a souhaité un toilettage de la loi sur les universités datant de 1984, la droite prépare une révolution universitaire, une nouvelle loi, destinée à réduire de 15 à 20 % le nombre d’étudiants. Ce qui permettra de faire des économies sur les postes de maîtres de conférence et de professeurs, qui seront nombreux à prendre leur retraite au cours des prochaines années. Tout cela, encore une fois, au nom de l’autonomie…
Ce terme fait réagir Pascal Binczak : « L’autonomie est nécessaire, mais pas en confiant la simple gestion de la pénurie aux présidents d’universités, et en donnant une sorte de Smic à chacune. Sur ce point, je crois que nous sommes en majorité d’accord. Cela suppose que les pouvoirs soient rééquilibrés au sein des universités, que le président ne soit plus le seul à décider et que les instances dirigeantes n’imaginent pas que nos frais de fonctionnement soient assumés par nos étudiants. Il ne faut pas non plus que nous nous transformions en chercheurs de bailleurs de fonds, et il faut que les contributions des entreprises ne restent que des aides ponctuelles. Nous ne devons jamais oublier les principes fondateurs du service public de l’enseignement, ouvert à tous et indépendant de tous. »
Comment celui qui est l’un des plus jeunes présidents d’université de France assume-t-il l’histoire et le poids de Paris-VIII, qui fut autrefois le Centre universitaire expérimental de Vincennes, où enseignaient Foucault, Lacan, Derrida, Deleuze et bien d’autres, et qui fêtera ses quarante ans en 2008, toujours en première ligne ? Connaissant la complexité d’un établissement qui accueille 23 000 étudiants, Pascal Binczak est embarrassé par la question : « Je ne suis ici que depuis quatre ans, j’y suis de plus en plus attaché, je comprends la tentation de repli sur elle-même de cette communauté, car elle n’a pas su se faire connaître. » Quant au livre-catastrophe de Pierre Lunel, son prédécesseur, il préfère l’ignorer : « C’est un pamphlet pour salir, pour abaisser, inutile d’en parler trop. Tout y est excessif. »
« Je suis de ceux qui veulent pour l’université une dimension aussi culturelle que formatrice, poursuit Pascal Binczak. C’est l’héritage auquel je suis attaché. Et les étudiants sont demandeurs. Je suis opposé à toute sélection parce que le principe républicain est l’accès universitaire à tous. Mais il faut que l’égalité se fasse sur tous les plans. Ce qui m’incite à rechercher comment inventer une première année à caractère propédeutique, année de mise à niveau permettant à un certain nombre de jeunes de rattraper leur retard, de combler des lacunes ».
Ce jeune juriste n’oublie pas le poids sociologique de l’université : « Installée à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, notre université à un rôle fondamental à jouer, estime-t-il *. Elle est parfois le dernier refuge, le dernier rempart, l’affirmation que tous les jeunes peuvent garder espoir. »*
[^2]: Éditions Anne Carrière, 340 p., 18 euros.