Yves Dechézelles, l’anticolonialiste

Avocat des nationalistes malgaches et maghrébins, militant des droits de l’homme, Yves Dechézelles vient
de mourir. Jean-Jacques Ayme l’avait interviewé en 1981.

Jean-Jacques Ayme  • 15 mars 2007 abonné·es

Le mouvement des droits de l’homme a perdu un maître. J’emploie ce mot à dessein, pas seulement parce qu’Yves Dechézelles était l’avocat des opprimés, des victimes de la répression, des militants luttant pour leur indépendance, l’avocat des luttes émancipatrices. J’emploie aussi le mot « maître » dans le sens de celui qui est un modèle dont nous avons beaucoup à apprendre. Alors que je rédigeais ma maîtrise d’histoire consacrée aux Jeunesses socialistes de 1944 à 1948, il m’avait accordé un long entretien le 9 mai 1981. C’est avec ses propres mots d’une interview non corrigée que je voudrais faire revivre un moment le combat oublié de cet ami qui n’a jamais transigé avec ses principes.

Socialiste avant la guerre, Yves adhère au parti communiste en 1937, car il reproche à Léon Blum sa politique de non-intervention en Espagne menacée par Franco, alors que le PCF dénonce cette politique. Il y reste moins d’un an et demi, mais a tout de même le temps de devenir secrétaire de la Fédération de Caen et fondateur du premier journal de Basse-Normandie. Les procès de Moscou le remplissent de doute, et il émet des réserves sur la duplicité des dirigeants russes qui critiquent la non-intervention et siègent au Comité de Londres, préconisant la non-intervention. Il est publiquement dénoncé par Marcel Gitton, qui l’interrompt devant les délégués de sa fédération et le qualifie de représentant de la bourgeoisie et des trotskistes. Fin de sa période stalinienne, si l’on peut dire…

Pendant la guerre, Yves, présent en Algérie, adhère de nouveau à la SFIO avec l’espoir de faire aboutir une politique conforme à la « doctrine traditionnelle du parti socialiste, non pas de la social-démocratie ». Après la guerre, il devient secrétaire du groupe parlementaire socialiste. Pourtant, il est en désaccord avec la direction socialiste, dirigée par Daniel Mayer, à qui il reproche, avec d’autres comme Guy Mollet, une politique de soumission à de Gaulle et une complaisance vis-à-vis des partis et des représentants de la bourgeoisie, incarnée dans le tripartisme. Au 38e congrès, en septembre 1946, la direction blumiste de Daniel Mayer est battue. Guy Mollet devient secrétaire du Parti. En janvier 1947, Paul Ramadier forme son gouvernement avec des ministres du PCF. Peu à peu, la gauche du Parti laisse Ramadier et Marius Moutet, ministre des Colonies, renier les principes sur le droit des peuples. « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les planteurs de caoutchouc », titre le Drapeau rouge , organe des Jeunesses socialistes (JS). Les dirigeants des JS engagent l’offensive contre la dérive des dirigeants socialistes au moment où la classe ouvrière se mobilise de nouveau. Ils sont exclus du Parti, accusés de trotskisme, et le bureau national des JS est dissous. Yves est en première ligne, car il se reconnaît dans la politique des jeunes. « Enfin, c’est formidable qu’un parti, qu’un gouvernement dirigé prétendument par un socialiste, puisse faire une pareille politique ! […] »

Dans un conseil national de la SFIO consacré à l’affaire d’Indochine, Yves se prononce pour la négociation avec Ho Chi Minh, qu’il a rencontré longuement, et dont la position à l’époque était très modérée puisque ce dernier était partisan d’une autonomie du Viêtnam à l’intérieur de l’Union française. L’exclusion des dirigeants des JS ? « J’ai le sentiment que Guy Mollet, bien à tort parce que je n’ai jamais eu le goût du pouvoir, pensait que peut-être je pourrais utiliser cette fraction-là pour viser un jour ou l’autre à le remplacer. »

Dans le combat engagé contre les JS par Guy Mollet et Daniel Mayer, Yves louvoie un peu. Mais il se ravise rapidement et donne sa démission du poste de secrétaire général adjoint. « Mon départ était devenu nécessaire, obligatoire, à moins de me renier. » Puis c’est le départ de la SFIO et la tentative de militer dans des organisations nouvelles mais sans lendemain, en raison de « bases insuffisantes » . Mais pourquoi ne pas avoir rallié le mouvement trotskiste ? Il reconnaissait dans la bataille anticoloniale un long compagnonnage avec le mouvement trotskiste. « Je suis finalement considéré comme trotskiste par le Parti socialiste parce que je suis contre la guerre d’Indochine. » Mais il avouait n’avoir jamais « été tenté » d’adhérer à ce mouvement, dont il déplorait les « rivalités extrêmement violentes ».

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