Besancenot par ici, Bové par là

Le candidat altermondialiste et celui de la LCR font campagne sur les mêmes thèmes et les mêmes terrains. Deux styles différents, deux avenirs possibles de la gauche antilibérale.

Michel Soudais  • 19 avril 2007 abonné·es
Besancenot par ici, Bové par là

Leurs chemins se sont souvent croisés. Olivier Besancenot et José Bové marchaient encore ensemble sur l’Élysée, le 4 avril, pour tenter d’y procéder, avec d’autres militants, à une inspection citoyenne de l’arsenal nucléaire. Depuis cette confrontation avec la maréchaussée qui gardait le palais présidentiel, le postier et le paysan font campagne chacun de leur côté. Àla fin de la semaine dernière, ils étaient à Marseille. Pour des meetings séparés. Deux styles pour un même électorat. Deux visions de l’avenir de la gauche antilibérale aussi.

En prélude à la réunion publique qu’il tient dans une salle privée face au stade Vélodrome, Olivier Besancenot, souriant, déclare vivre « une campagne enthousiasmante » . Depuis qu’il a franchi l’obstacle des 500 parrainages, qui aurait pu mettre la LCR « en difficulté politique et financière » , « tout ce qui vient, c’est du bonheur » . Dans les cités et les usines où il se rend, le célèbre facteur dit sentir « de la popularité, de l’adhésion et de l’espoir » . L’affluence à ses meetings a doublé depuis 2002. Ce soir encore, la salle est trop petite pour accueillir les quelque 500 personnes venues écouter ce « salarié » qui parle « comme eux » . Pour gagner la tribune, le candidat est obligé de passer par les cuisines. Satisfait mais prudent, Olivier Besancenot refuse de commenter les sondages qui le placent en tête des candidats de la gauche antilibérale. Et déclare ne plus vouloir polémiquer sur un « rendez-vous électoral loupé » . « L’heure n’est plus aux regrets ou à pleurnicher , assure-t-il *. La question est de savoir si on parle d’insécurité ou de questions sociales. »*

Le candidat de la LCR s’y emploie. Dans les longs discours qu’il prononce en poussant la voix, sur les plateaux de télé, mais pas seulement. La veille, il avait convoqué les médias pour une visite guidée dans une cité de Poissy (Yvelines) que le député-maire UMP, Jacques Masdeu-Arus, veut démolir. Le candidat avait déjà rencontré, seul, les habitants de La Coudraie. Leur cause lui a semblé si emblématique de « l’épuration sociale » pratiquée par les communes aisées qu’il a voulu offrir un « éclairage médiatique » à leur « résistance » . Cette cité, implantée sur les hauteurs de la ville, autour d’une allée plantée et… classée, qui lui donne son nom, est nichée dans la verdure, à proximité des autoroutes qui mettent La Défense à douze minutes en voiture. Des étages, on voit la tour Eiffel. « Aujourd’hui, sur les 608 familles qui habitaient là, il en reste 130 » , explique Mohammed Bouznada, président de l’association des locataires. Des plaques de fer empêchent l’accès aux logements vides, dont de nombreux F5 de 95 m2 (loi Carrez), les volets métalliques ont été soudés. Aucun commerce ne subsiste. « Tout est fait pour asphyxier l’activité du quartier » , estime Olivier Besancenot. Les façades des bâtiments sont à l’abandon, l’éclairage public n’est plus assuré, et le ramassage des ordures ménagères intermittent. Jusqu’à l’école, rénovée il y a deux ans, qui va fermer pour dissuader les dernières familles de rester.</>
Samedi matin, il est à Air-Bel, une cité abandonnée de l’est de Marseille : 1 300logements, 6 000 habitants, 30 nationalités, plus de commerces ni de services publics, hormis « une pharmacie et le médecin » , un snack et un centre de lecture associatifs. Mais un gymnase brûlé en attente de reconstruction depuis 1994 et une tour promise à la démolition.

Au moment où cette visite s’achève, José Bové entame, lui, sa tournée marseillaise dans un autre quartier populaire de la cité phocéenne, Frais-Vallon, menacé par la destruction de trois tours. L’occasion de brocarder Nicolas Sarkozy, dont les déplacements nécessitent protection. Ce matin encore, le candidat de l’UMP a dû renoncer à arpenter le marché d’Aubagne. « Sarkozy n’est pas le bienvenu car c’est le candidat de la haine, le fils naturel de Le Pen » , assène le candidat altermondialiste, entouré d’un public coloré et chaleureux. Au pied des immeubles, ils sont descendus nombreux pour le voir, le toucher, mais aussi lui exposer leurs problèmes. Chômage, pauvreté, mal-logement… Lui dénonce les démolitions, « une volonté de faire partir encore plus loin les pauvres » . Parle du « droit à la dignité » . Et précise qu’il n’est « pas là pour faire des discours et dire qu’il faut attendre cinquante ans qu’il y ait la révolution » , mais montrer que le changement est « possible tout de suite » .

Défendre les mêmes causes n’empêche pas la concurrence. Face au « risque de dispersion des voix des électeurs de la gauche radicale » , Olivier Besancenot propose « qu’il y ait au moins une voix qui arrive à émerger sur la base du renouvellement et de l’indépendance, les deux in-dis-so-cia-bles ! » Le candidat de la LCR veut incarner « un nouveau type de salariat, rajeuni, plus diplômé, féminisé, précarisé, coloré » . Une génération « bourrée d’espérance » et qui « ne se condamne pas simplement à la politique du moins pire » . De son côté, José Bové se dit persuadé que « les gens vont oser voter pour leurs propres convictions et sanctionner les partis qui ont voulu jouer la division ». « Si on veut affirmer un vote antilibéral comme celui du 29 mai 2005 contre le traité constitutionnel, il faut voter pour le candidat qui permet d’unir des gens venant de courants différents et de porter un espoir » , martèle-t-il. À chaque étape, le leader paysan aligne amitiés et soutiens variés. Et d’abord celui d’Evo Moralès. L’ancien agriculteur, devenu président de la Bolivie, a dépêché sur la campagne un député du MAS, Cesar Navarro.

À l’Estaque, où il vient partager un aïoli avec 200 personnes, le candidat altermondialiste est accueilli par Frédéric Dutoit. « Ce n’est peut-être pas politiquement correct, mais c’est correct politiquement » , explique le député communiste des quartiers nord : « On était ensemble contre la constitution libérale et pour une candidature unitaire, on a le même programme, le même projet, comme Buffet ou Besancenot. Enfin, la proposition de Michel Rocard d’une alliance PS-UDF me fait craindre que si la gauche (Buffet, Besancenot, Bové) n’est pas suffisamment puissante, on n’aura pas un candidat de gauche gagnant et surtout une politique de gauche comme on souhaite la mener. »

Sur la scène dressée cours d’Estienne-d’Orves, à deux pas du Vieux-Port, musique et prises de parole se succèdent. « On est là pour faire la fête, annonce José Bové, parce que c’est en faisant la fête et par la fête qu’on change le monde aussi. » Dans la foule, une trentaine de jeunes descendus de La Canebière avec des pancartes où est inscrit « câlins gratuits » – version contemporaine du peace and love des années 1970 – veulent embrasser le candidat. Pour Annick Boët, présidente du groupe communiste au conseil municipal, la candidature Bové est « la seule candidature qui permet à tous ceux qui ont voté « non » de se retrouver dans leur diversité » . « Marseille la rebelle a trouvé son candidat » , conclut-elle sous les applaudissements.

Il est 17 h 30 et déjà l’heure de gagner Aix-en-Provence. Juché sur une estrade, place de la mairie, le candidat improvise, comme à l’accoutumée, devant 500 personnes. Beaucoup de jeunes, mais aussi plusieurs cadres du PS venus en curieux [[Baptisés « les Horaces », des socialistes pro-Bové, membres ou non du PS, ont désormais un site Internet (http://membres.lycos.fr/alternatifs). L’appel qu’ils ont rédigé à la suite des déclarations de Michel Rocard aurait recueilli, selon eux, 1 500 signatures en 48 heures.
]]. Rémy Jean, militant local de la LCR à l’origine de la pétition qui a relancé sa candidature, en défend l’aspect collectif. « Avec José Bové, nous sommes tous candidats. S’il est élu, nous serons tous présidents de la République. »

Peu après 20 h 30, sous les cris de « Unité ! Unité ! », scandés par 1 300 personnes, José Bové rejoint Eros Sana, Claire Villiers et Raoul Marc Jennar dans un des halls du parc des expositions d’Avignon. Après leurs interventions et quelques autres, le candidat de l’autre monde en marche refait la campagne. Enjeux hexagonaux, internationaux… « On ne peut pas s’arrêter sans que ce mouvement se structure, mais de manière horizontale , conclut-il. Quand on commence à labourer, on n’a pas envie de s’arrêter tant qu’on n’a pas fini les champs. »

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