C’est bio, forget it !

Hélène Crié-Wiesner a couvert l’environnement durant quinze ans à Libération, et publié plusieurs livres sur le sujet. Elle vit aux États-Unis depuis 2000.

Hélène Crié-Wiesner  • 19 avril 2007 abonné·es

Le médical, Dieu et la bouffe sont trois grandes passions américaines. La bouffe, pardon, la nutrition, car il n’est pas question de plaisir mais d’efficacité, bénéficie d’un statut spécial : les manières de l’aborder varient à l’infini, et l’on accepte sans broncher des théories aux antipodes des précédentes. Entre la chasse aux graisses, puis aux sucres, puis le retour au comptage des calories, la vogue des céréales précédant celle des noix, le diktat du steak maigre balayé par la stigmatisation de la viande rouge, la bouffe est un sujet épatant pour observer la société.

En ce moment, un nouvel angle fait fureur~: «~Laissez tomber le bio, cherchez plutôt les productions locales.~» À l’appui, des assertions nouvelles pour les néo-écolos lambda : quelle quantité de pétrole moyen-oriental a été consommée pour apporter cette pomme à ma bouche~? Une fraise de Californie (cinq calories de nutrition) a brûlé 435 colories de fuel pour arriver sur la côte Est. Les Big Organic Farms (l’agrobusiness du bio), qui inondent les hypers de marchandises à prix raisonnables, emploient les mêmes méthodes de production et de transport que leurs homologues conventionnelles. (Un mot génial, ce «~conventionnel~» ! Appliqué à un fruit ou à un légume, il signifie «~arrosé de dangereux pesticides~», ou «~farci d’hormones et d’antibiotiques~» pour la viande.)

Le débat a d’autant plus de sens aux États-Unis que les ventes de bio ont encore crû de 20~% en 2006. Du coup, la contre-attaque du conventionnel s’organise~: des marchés voient le jour, souvent aidés par les collectivités locales, qui tentent d’éduquer les consommateurs. Ceux-ci ne sont pas toujours chauds pour rouler 20 kilomètres jusqu’au Farmers Market du comté, trimballer un panier entre des étals et payer chaque vendeur un par un. Aussi, les supermarchés commencent-ils à indiquer en rayon les produits d’origine locale. Et ça marche… du moins dans les États qui cultivent quelque chose. Dans le Midwest, par exemple, il n’y a rien à vendre puisque tout est transformé en tourteaux ou en agrocarburants.

Cette situation embarrasse les chaînes de magasins bios, dont les clients commencent à se sentir coupables d’acheter de l’ail chinois. À cela, un militant associatif répond [^2] : « ~ Ça veut dire quoi, « local » ~ ? Utilisent-ils des pesticides « locaux » ~ ? Est-ce que ces aliments sont meilleurs parce qu’ils génèrent des cancers « locaux » ~ ? ~ » Espérons que ce petit jeu finira par déboucher sur une production bio et locale.

[^2]: « Forget organic, eat local », Time, 12 mars 2007.

Écologie
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