De Bové À Besancenot ?

Le philosophe libertaire Yannis Youlountas est porte-parole de José Bové

Yannis Youlountas  • 5 avril 2007
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Lettre ouverte à Michel Onfray

Illustration - De Bové À Besancenot ?

L’engagement d’un intellectuel dans une campagne électorale est-il du même ordre que celui d’un turfiste essayant de parier sur le meilleur cheval ? Un philosophe doit-il s’attarder sur le résultat plus que sur le sens ? Un libertaire peut-il préférer les chefs de parti aux groupes autogestionnaires et métissés qui tentent de réinventer la politique ?
Telles sont les trois questions fermées que je souhaite te poser tout d’abord, Michel. Trois questions auxquelles répondre NON implique, à mon humble avis, l’examen approfondi d’une posture qui me semble absurde et pour le moins contradictoire.

Comment l’homme qui m’a répondu « banco » le 30 décembre en vue de l’appel du 6 janvier peut-il renier le résultat de ce qu’il a contribué à porter ? Comment l’idéologue qui a cosigné avec moi un appel aux libertaires le 1er février dans Politis peut-il retourner à son « soutien par défaut » de 2002 pour le candidat d’une « chapelle » trotskiste ? Comment le philosophe qui a décrit et salué la « réappropriation de la politique », avec Raoul Marc Jennar et moi-même, dans Le Monde du 13 février, peut-il abandonner l’élan vital que constitue l’irruption citoyenne dans la chasse jusque-là gardée des partis politiques ?

Tu sais que je ne suis pas de ceux qui t’attaquent régulièrement pour certaines de tes positions sur des sujets délicats. Je ne suis pourtant pas de ton avis sur les OGM, le nucléaire, le clonage, l’usage massif des médias, ou encore le dialogue courtois avec les ennemis politiques (car Nicolas Sarkozy n’est pas seulement un adversaire ou un contradicteur mais un véritable fossoyeur de tout ce qui constitue le bien commun, la fraternité universelle et la liberté d’opinion). J’ai même défendu ton droit à la différence dans une contribution au site unisavecbove.org (Pour Michel Onfray). Cela parce que la particularité de notre candidature collective se situe d’abord dans sa diversité et donc dans son ouverture au débat, loin des idées reçues, des dogmes historiques et des sectarismes idéologiques. Chez nous, dans la campagne Unis avec Bové, tout doit pouvoir se dire et se discuter, se revisiter, se réexaminer, se réinventer.

Je sais que beaucoup d’écrits t’ont visé dans nos propres réseaux, venus de certains de nos militants, et que cela t’a profondément attristé ces dernières semaines. Paul Ariès, lui-même, l’un des idéologues contemporains de la décroissance, nous a épinglé tous les deux, dans un pamphlet (José Bové, le candidat condamné) qui t’a sans doute heurté. Nous sommes tous sujets à critiques dans un mouvement pluraliste et très contrasté. N’est-ce pas logique et même désirable ?
La principale difficulté de la candidature collective aux côtés de José Bové est d’être, chacun, des hommes comme les autres, et non des leaders, des chefs, des experts, des monstres sacrés, des personnalités indiscutables, louées, adulées, rompant le pain béni de la vérité officielle, inscrite dans la bible programmatique du parti, et à peine réinterprétée, année après année, de campagne en campagne. José lui-même est l’objet de critiques régulières, bien que fraternelles, et celui-ci les accepte bien volontiers pour une grande part, en se prêtant au débat avec tous ceux dont il n’est que le principal porte-parole et non le chef dont on devrait boire les paroles.

Telle est la campagne que tu as décidé de quitter : celle des citoyens décidés à se réapproprier la politique par-delà les appareils et leurs directions bien peu renouvelées. Peut-être José est-il un éleveur de brebis et un fabricant de fromages et de yaourts fermiers… Mais les bergers ne sont pas toujours où on les suppose. Et je crains fort que tu n’aies malheureusement choisi de revenir à la chaleur du troupeau, bien loin de ta fameuse introduction à Politique du rebelle. De ces troupeaux de citoyens qui se font traire les uns après les autres, à chaque échéance électorale. De ces troupeaux qui perpétuent la tradition de suivre les Panurges, à l’exception de quelques moutons noirs parmi lesquels tu manques.

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