Jacques Testart : « Un avis éclairé et désintéressé »
La conférence de citoyens
est un outil d’avenir pour une démocratie plus participative , estime
le biologiste Jacques Testart, président
de la fondation Sciences citoyennes.
dans l’hebdo N° 946 Acheter ce numéro
Vous proposez d’instaurer en France des conférences de citoyens pour aider les politiques à prendre des décisions sur les sujets de société. Ne risquent-elle pas d’être assimilées à un gadget démocratique ?
Jacques Testart : La conférence de citoyens telle que nous la concevons est une procédure très cadrée, de type scientifique. Quelques dizaines de personnes sont tirées au sort, pas selon la méthode des quotas, elles seraient trop nombreuses, mais en respectant des équilibres (genre, origine socioprofessionnelle, régionale, etc.). Elles n’ont pas d’implication personnelle avec le thème traité et reçoivent à son sujet une formation complète et surtout contradictoire dispensée par des experts officiels mais aussi par ceux qui portent la controverse, même s’ils sont minoritaires. Les citoyens auront aussi la liberté de convoquer des personnalités de leur choix.
Ce module de formation sera mis au point de façon consensuelle par un comité de pilotage d’une dizaine de personnes, qui n’aura que cette fonction. En particulier, il ne rencontrera jamais les citoyens afin de ne pas les influencer.
Il faut prévoir et calibrer les moindres détails pour éviter toute manipulation et asseoir la crédibilité de ces conférences, qu’il est facile de traiter par le mépris… Il ne faut surtout pas les confondre avec les « débats publics », la grande mode en ce moment comme on l’a vu pour l’énergie, l’eau, etc. Ces derniers constituent un leurre démocratique : on convoque le public pour lui « expliquer » et lui demander de suivre des préconisations.
On pourra toujours taxer ces conférences de populisme…
Le populisme, c’est se rallier de manière opportuniste à des opinions plus ou moins bien digérées. Une conférence de citoyens a pour objet de produire un avis informé, ce qui est très différent. Et l’on constate, sur les quelques exemples dont on dispose, que les participants peuvent acquérir une expertise d’excellent niveau.
De telles conférences ont-elles déjà influencé des politiques ?
Le Danemark régule de nombreuses questions de cette manière. La France connaît quelques expériences isolées. En 1998, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) a organisé une conférence de citoyens sur les OGM. En 2002, l’ex-Commission française pour le développement durable (CFDD), que je présidais, a traité du dérèglement climatique. En 2005, la Commission nationale du débat public (CNDP) s’est intéressée aux boues d’épuration, et, l’an dernier, la région Île-de-France a abordé les nanotechnologies. Mais les avis de ces conférences n’ont jamais été repris ni même considérés par les élus.
Voilà pourquoi nous voulons une procédure exemplaire, irréprochable, inattaquable, de manière à pouvoir exiger des élus qu’ils s’emparent de ces avis citoyens.
Pourquoi des élus valideraient-ils un mécanisme qui les dépossède d’une partie de leurs prérogatives ?
Ils détiendront toujours la responsabilité de la décision ! Il ne s’agit pas de limiter leur rôle mais de les aider à dépasser des blocages pour rédiger des lois sous l’éclairage d’un avis éclairé et désintéressé.
Les thèmes traités ont souvent un caractère scientifique. Est-ce le périmètre privilégié de ce genre d’exercice ?
La conférence de citoyens y est bien adaptée. Mais je pense qu’il ne faut absolument pas en restreindre le champ. Elle peut s’investir sur la question du voile à l’école, la bioéthique, des sujets politiques ou sociétaux, etc.
Vous comptez proposer, à l’automne, d’inclure ce dispositif dans la Constitution. Un coup de publicité ou avez-vous une chance d’être soutenu ?
Contrairement à des pays du Nord de l’Europe, la tradition française fait défaut en matière de démocratie participative. Cependant, c’est une période charnière : les politiques sentent bien que le public est en demande, ils tentent de faire face en multipliant les conférences, les débats publics, etc. Mais ces faux-semblants ne trompent personne. Il suffit de voir les critiques essuyées par les commissions du débat public sur le nucléaire en 2005-2006.
Aussi, nous pensons trouver des appuis pour notre projet. La CNDP et l’OPECST n’en veulent pas, mais le Conseil économique et social pourrait être intéressé. Nous ne nous berçons pas d’illusions, ce sera difficile, que la Ve République soit encore d’actualité ou qu’une VIe soit déjà en chantier…