Kokopelli, graines de résistance

L’association Kokopelli, le plus important conservatoire français de variétés anciennes de fleurs, de céréales et de légumes accessibles à tous, est menacée par les semenciers français et par Bruxelles.

Patrick Piro  • 5 avril 2007 abonné·es

Après s’être pourvus en cassation, ils iront jusqu’à la Cour européenne de justice s’il le faut. L’association Kokopelli [^2], forte de 5 500 membres qui se consacrent depuis treize ans à la préservation et à la diffusion de semences anciennes et menacées de disparition, est engagée dans un bras de fer juridique avec les instances officielles françaises, soutenues par les grands semenciers. Le 22 décembre 2006, son président, Dominique Guillet, a été condamné par la cour d’appel de Nîmes à une amende d’environ 20 000 euros pour avoir commercialisé des graines non enregistrées ­ en quelque sorte, pour exercice illégal de la profession de semencier.

Car, pour pouvoir commercialiser une variété sur le marché, il faut au préalable l’avoir inscrite au catalogue officiel, moyennant des tests garantissant sa « distinction », son « homogénéité » et sa « stabilité ». Destiné officiellement à garantir la qualité à l’acheteur, ce dispositif protège surtout la propriété intellectuelle des semenciers, qu’il a participé à concentrer entre les mains de quelques grands noms (Limagrain, Syngenta, Monsanto, etc.), capables d’investir les grosses sommes que nécessite cette inscription ­ jusqu’à 30 000 euros.

Illustration - Kokopelli, graines de résistance


Un employé transporte des semences dans les locaux de l’association Kokopelli, le 25 janvier 2007 à Alès. AFP/PASCAL GUYOT

Il est possible d’échapper à cette certification depuis la création en 1997 d’un catalogue réservé aux producteurs amateurs. L’inscription d’une semence coûte environ 250 euros, avec de très importantes restrictions : vente limitée en grammage, et interdite aux professionnels de même que pour la production qu’en tireraient des jardiniers amateurs.

Kokopelli, qui cultive ou acquiert les semences d’environ 2 700 variétés de fleurs, de céréales et de légumes anciens [^3] pour les diffuser aussi largement que possible, est en infraction, sans ambiguïté : « Nous vendons, avec grand plaisir et facture en règle, à plus de cent collectivités, arboretums, conseils généraux, communes ­ dont Paris ! » , s’enorgueillit Raoul Jacquin-Porretaz, porte-parole de l’association et chargé des questions juridiques. En 2004, une visite de la répression des fraudes débouche sur un procès intenté par le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis), gestionnaire du catalogue officiel, et la Fédération nationale des professionnels des semences potagères et florales (FNPSP), qui regroupe les grands semenciers français.

Surprise ­ contrairement à la position très réglementaire de la cour d’appel de Nîmes ­, la première audience, tenue à Alès en mars 2006, donne raison au « Petit Poucet ». Car la directive européenne 98/95 de 1998 permet la création, dans les États membres, de listes de conservation des semences agricoles « à risque d’érosion génétique » , « notamment provoquée par la pression des processus de certifications » , explique l’Allemand Anes Lorenzen, administrateur de la Commission agricole et conseiller du groupe des élus Verts au Parlement de Strasbourg.

Mais la France n’utilise pas cette disposition de la directive 98/95, jugeant que la diversité n’est pas menacée sur son territoire, comme le rappelle un communiqué assassin du Gnis contre Kokopelli [^4]. Dont l’appréciation est diamétralement opposée : les semences « paysannes » ­ reproductibles d’une année sur l’autre ­ disparaissent peu à peu des catalogues nationaux, remplacées par des variétés hybrides, issues de processus de sélection, et que le cultivateur doit racheter chaque année au semencier pour bénéficier de ses caractéristiques. Exemple : sur les 46 variétés de carottes du catalogue officiel, 5 étaient « hybrides » et 19 « anciennes » en 1977. En 2006, les hybrides représentent 87 % des 93 variétés et sont détenues à 96 % par deux multinationales ­ Limagrain et Monsanto. Ne perdurent que 8 « anciennes ».

À la suggestion de s’installer à l’étranger, pourquoi pas en Toscane ou en Catalogne, dont les autorités sont ouvertement favorables à sa philosophie, Kokopelli objecte son engagement. « Nous faisons le travail de conservation qui incombe à l’État et avec des moyens très limités , justifie Raoul Jacquin-Porretaz. C’est un combat politique, et nous voulons obtenir une évolution de la législation. »

Mais alors que la procédure de cassation ne devrait pas déboucher avant 2008, le vrai coup dur pourrait venir de la Commission européenne. En effet, la directive 98/95 nécessitait un règlement pour en préciser la portée. Prévoyant une dérogation à l’inscription au catalogue officiel (et sans les restrictions du type « catalogue amateur » français) pour les petits agriculteurs dont la production de semences (non hybrides) a vocation de conservation, ce règlement a vu son adoption délibérément bloquée depuis des années « par certains pays comme la France, sous la pression de gros semenciers, peu désireux de laisser leur quasi-monopole s’effriter » , relate Anes Lorenzen.

La version retoquée du texte est considérée comme catastrophique par Kokopelli, qui compte interpeller les candidats à la présidentielle : la culture d’une variété « reproductible » deviendrait restreinte à son seul « terroir d’origine », les États ayant latitude pour décider en quelles quantités et par qui. « De quoi mettre définitivement Kokopelli au pas » , constate amèrement Anes Lorenzen.

[^2]: Du nom d’un personnage mythique de traditions amérindiennes, associé à la fertilité.

[^3]: Voir le catalogue Semences de Kokopelli (version 6), 57 euros (, 04 66 30 64 91

[^4]: À lire : les vifs échanges à propos de la décision du tribunal de Nîmes sur les sites du Gnis , de Kokopelli ou du réseau Semences paysannes <www.semencespaysannes.org>.

Écologie
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