La droite au plus haut, la gauche au plus bas

Participation massive, reflux de l’extrême droite mais aussi de la gauche sont les principales clefs d’un scrutin où la droitisation conduit à une course au centre, dont la gauche antilibérale fait les frais.

Michel Soudais  • 26 avril 2007 abonné·es
La droite au plus haut, la gauche au plus bas

Les soirées électorales de premier tour sont des moments particuliers. Rien n’est vraiment joué, mais tout n’est déjà plus possible. Après des décennies de hausse de l’abstention, le très fort taux de participation enregistré dimanche est une première donnée. Avec 83,8 %, il flirte avec les records des présidentielles de 1965 et 1974. Et confirme l’intérêt des Français pour ce scrutin, que laissait déjà pressentir l’exceptionnel mouvement d’inscription sur les listes électorales fin 2006. Cet engouement, qui a souvent contraint les électeurs à faire la queue pour voter, tend à prouver que la politisation observée lors du référendum européen n’est pas retombée. La volonté d’effacer le 21 avril 2002, scrutin marqué par un taux d’abstention record, explique aussi ce regain de mobilisation civique qui débouche sur un affrontement droite-gauche classique.

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Deux partisans socialistes attendent le meeting de Ségolène Royal au Zénith de Dijon, le 7 mars.
AFP/Jeff Pachoud

La première traduction concrète de cet élan vers les urnes est la régression du Front national. Depuis 1988, l’extrême droite prospérait sur l’abstention. Jusqu’à hisser son candidat au second tour de l’élection présidentielle. Cette fois, le reflux est net : Jean-Marie Le Pen perd près d’un million de voix. Il obtient 10,44 % des suffrages, soit 3,8 millions de voix, contre 16,8 % en 2002. Comme ironisait un militant lepéniste, dimanche soir, « une fois de plus, Le Pen avait raison. Il y a des surprises » . À bientôt 79 ans, le président du FN, dont c’était la cinquième candidature à l’Élysée, retrouve un score inférieur à celui qu’il avait réalisé en 1988 (14,38 %). Il ne peut même pas imputer sa contre-performance à la concurrence de Philippe de Villiers. Celui-ci, avec 2,23 %, se situe au même niveau que Bruno Mégret en 2002 (2,34 %).

Cette bonne nouvelle doit néanmoins être nuancée. Si l’extrême droite régresse, son affaiblissement électoral se fait au prix d’une reprise d’une partie de ses idées par Nicolas Sarkozy. Soucieux de minimiser sa défaite, Jean-Marie Le Pen s’est félicité de cette « victoire idéologique » , dans laquelle il voit un « acquis irréversible » de son parti. L’ancien député poujadiste aurait en quelque sorte achevé le rôle historique qu’il s’assignait en novembre 1984, quand il expliquait, dans leMonde , que la politique consiste avant tout à « peser sur son temps, sur les décisions du pouvoir, sur la pensée politique » . « Je pèse en m’exprimant , déclarait-il, j’oblige toute la politique française à se droitiser, à se déterminer par rapport à moi. » Comme en écho à cet autoportrait ancien, Nicolas Sarkozy, interrogé dans Libération (12 avril) sur la droitisation de son discours, répondait : « Si je veux être tout à fait honnête, Ségolène est plus à droite que Jospin, je suis plus à droite que Chirac, Bayrou est plus à droite que Lecanuet. Finalement, celui qui est moins à droite qu’avant, c’est Le Pen. » </>

Nicolas Sarkozy n’a jamais fait mystère de sa volonté de séduire l’électorat du FN. Contrairement à Jacques Chirac, qui a constamment refusé toute compromission avec l’extrême droite, le président de l’UMP n’a pas craint d’en reprendre les thèmes et les valeurs : ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, culte de l’autorité, glorification des « petites patries » , etc. Comme s’il faisait sienne l’attitude d’un ancien responsable du RPR, Claude Labbé, désavoué par Chirac, qui déclarait au milieu des années 1980 : « Dites à vos amis de ne pas aller au Front national. Ce que le FN réclame, au RPR, nous le ferons. »

Avec un score canon de 31,18 %, jamais obtenu par un candidat de droite depuis Valéry Giscard d’Estaing (32,6 % en 1974, 28,6 % en 1981), Nicolas Sarkozy obtient en quelque sorte validation de cette stratégie. « Cela fait vingt-cinq ans que la droite attend un dirigeant de droite » , reconnaît Marine Le Pen. « Comme Nicolas Sarkozy a réussi à se donner cette image » , sur « l’immigration ou la sécurité » , par exemple, « il a siphonné » l’électorat du FN, explique-t-elle.

Selon les sondages, le candidat de l’UMP aurait attiré, dès le premier tour, entre 23 et 30 % des électeurs qui avaient voté Le Pen en 2002. Un phénomène de vases communicants attesté par l’examen des résultats. Nicolas Sarkozy enregistre ses plus fortes progressions par rapport à Jacques Chirac en 2002 là où Jean-Marie Le Pen connaît ses plus fortes baisses. Dans les vingt départements où le candidat UMP a le plus progressé en pourcentage par rapport au score de M. Chirac, on trouve quinze des vingt départements où le leader du FN a enregistré ses plus importantes pertes de voix. C’est particulièrement net dans les Alpes-Maritimes. Arrivé en tête dans ce département en 2002, M. Le Pen y enregistre sa plus forte baisse, perdant un tiers de ses suffrages et reculant de 12,5 points, quand M. Sarkozy, qui y réalise son meilleur résultat en métropole avec 43,59 % des voix, gagne 21,63 % (et 156 000 voix) par rapport au score de Jacques Chirac il y a cinq ans. Cette situation se retrouve en Haute-Savoie, dans le Var, dans les deux dépar

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tements alsaciens ou l’Hérault, ainsi que, à des degrés divers, dans le Gard, le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône, le Drôme, la Savoie, l’Isère ou l’Oise.

La qualification de la gauche au second tour du scrutin constitue la seconde bonne nouvelle du scrutin de dimanche. Le traumatisme du 21 avril 2002 est effacé. Pour sa première candidature à la présidence de la République, Ségolène Royal recueille 25,87 % des suffrages au premier tour, soit un score identique à celui de François Mitterrand en 1981. Elle gagne 2 points par rapport au total des scores obtenus en 2002 par Lionel Jospin (16,18 %), Jean-Pierre Chevènement (5,33 %) et Christiane Taubira (2,32 %), qui ont rallié sa campagne, mais cette progression se fait essentiellement au détriment de la gauche de transformation sociale.

C’est l’enseignement le plus préoccupant : avec un total de 36,44 %, la gauche et les écologistes sont à un niveau historiquement bas, jamais vu depuis 1969. Plus faible même qu’en 2002 (42,89 %). La faute à qui ? Pour une part à l’absence de dynamique autour du projet de la candidate socialiste, qui s’est contentée d’agiter le spectre du 21-avril, attirant à elle, au nom du « vote utile », des suffrages qui se seraient plus volontiers portés sur les « petits » candidats de gauche, sans convaincre en dehors de son camp. La désunion de la gauche antilibérale a fait le reste. Émiettée, la gauche radicale sort laminée du scrutin. Seul Olivier Besancenot émerge du lot, avec un score de 4,08 %, soit plus du double de celui de Marie-George Buffet (1,93 %), dont le parti enregistre un nouveau recul. Pour sa sixième et dernière campagne, Arlette Laguiller récolte son plus mauvais score (1,33 %), José Bové se contente de 1,32 %, Gérard Schivardi, soutenu par le Parti des travailleurs, obtient 0,34 %. Cumulés, leurs scores portent la gauche radicale à 9 % quand l’addition des voix communistes et trotskistes la situait autour de 14 % en 1995 et 2002. Comme le notent les « communistes unitaires », « deux années de luttes, de la victoire du « non » au référendum à celle contre le CPE, n’ont pas trouvé de traduction électorale, contrairement à ce qui s’est passé, par exemple, aux Pays-Bas » .

Enfin, la tentative de François Bayrou de s’imposer comme l’homme de la synthèse entre la droite et la gauche a échoué. Le président de l’UDF ne parvient pas à se hisser au second tour. Mais en réunissant 1 140 000 voix de plus que Jacques Chirac le 21 avril 2002, et 18,57 % des suffrages exprimés, le Béarnais, qui avait obtenu 6,84 % en 2002, est désormais incontournable. Courtisé par l’UMP, et plus encore par le PS, François Bayrou peut désormais rêver de peser sur nos socialistes autant que Jean-Marie Le Pen sur l’UMP.

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