L’affrontement final
dans l’hebdo N° 947 Acheter ce numéro
Pour ou contre Sarkozy. À deux semaines du premier tour, tel est l’affrontement qui se dessine. Et que cherche à éviter le président de l’UMP. Trois faits qui se sont déroulés à la fin de la semaine dernière montrent que l’hostilité envers l’ancien maire de Neuilly ne se cache plus. Elle s’affirme jusqu’à chercher le contact avec le candidat de la droite décomplexée, qui craint pour son image.
Le premier couac s’est déroulé jeudi 5 avril, au vu et au su de tous. De passage à Lyon pour un meeting en présence de Bernadette Chirac, Nicolas Sarkozy avait prévu de visiter la pâtisserie Bouillet à la Croix-Rousse, célèbre pour ses macarons au beurre salé. Cette séquence pour laquelle une soixantaine de journalistes étaient accrédités devait permettre au candidat de vanter l’artisanat et de vendre en image les mesures qu’il propose pour en favoriser le développement. Mais, à l’heure du rendez-vous, dans ce quartier des Canuts devenu le repaire des bobos lyonnais, une foule de deux cents personnes, en majorité hostiles à ses idées, l’attend. Les motivations des « anti-Sarko » sont diverses. Les uns lui reprochent de « faire peur » pour s’imposer, d’autres de chercher à séduire l’électorat du Front national. Les critiques, les sifflets et les pancartes improvisées évoquent l’usage du mot « racaille » , la garde à vue de la directrice de l’école maternelle de la rue Rampal à Paris, l’évocation sur TF 1 des « moutons égorgés dans les baignoires » … Face au risque que sa « France de demain » soit de nouveau assimilée au bleu des CRS en faction devant la pâtisserie, Nicolas Sarkozy a préféré renoncer à son étape.
Quelques heures plus tard, une scène assez similaire, qui n’a pas fait une ligne dans les journaux, se déroule devant l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm, à Paris. L’association Pollens, qui veut faire revivre dans la célèbre école « un espace politique en sommeil » , organise une table ronde sur la recherche et l’enseignement supérieur. Elle a invité des représentants de José Bové, Ségolène Royal, François Bayrou, Nicolas Sarkozy et… Jean-Marie Le Pen. Alertés par des étudiants du syndicat Sud de l’ENS, des militants FSE (Fédération syndicale étudiante) des universités Paris I et Paris IV, toutes proches, bloquent le représentant du FN à son arrivée. Le député UMP Claude Goasguen est aussi renvoyé chez lui aux cris de « Goasguen au kärcher ! » . Le sénateur UDF Jean-Léonce Dupont et la socialiste Dominique Bertinotti ayant renoncé à débattre dans ces conditions, l’anthropologue et philosophe Michel Tibon-Cornillot, représentant de José Bové, s’est retrouvé seul pour discuter avec les étudiants.
Samedi, en fin de matinée, Nicolas Sarkozy dédicace son livre programme dans une librairie de Saint-Rémy-de-Provence, où le candidat passe le week-end pascal. Télés, radios et quotidiens évoquent cette séance de signature bon enfant sans mentionner que c’est à Aix-en-Provence, sur la terrasse de la Librairie de Provence, cours Mirabeau, que le président de l’UMP avait initialement prévu de jouer les auteurs. Au petit matin, ce rendez-vous figurait encore dans l’agenda politique diffusé par l’Agence France Presse. Que s’est-il passé ? Une partie du personnel de la librairie aixoise, consternée par la venue de Nicolas Sarkozy, l’a un peu trop ébruitée. Par téléphone et par mail, des citoyens s’étaient donné rendez-vous pour faire savoir « bruyamment » à ce « personnage » ce qu’ils pensent de ses idées, de son programme politique, de ses déclarations et de son action au ministère de l’Intérieur.
En se multipliant, les manifestations anti-Sarko rendent visible l’opposition évoquée par Ségolène Royal entre une « France de la réconciliation » , qu’elle veut incarner, et une « France de l’affrontement » , dont son adversaire serait la figure emblématique. Ce qui ne signifie pas que le PS les organise. Nicolas Sarkozy, déjà interdit de visite en banlieue, récolte ce que son discours a semé. L’homme s’est imposé sur la scène publique par un verbe fort, brutal. Azouz Begag, qui fut son collègue au gouvernement et vient de démissionner pour rejoindre François Bayrou, en témoigne. Dans un livre au titre en clin d’oeil, Un mouton dans la baignoire (Fayard), l’ex-ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances raconte ses rapports (tendus) avec Sarko. Jusqu’à ce coup de fil où celui qui voulait « débarrasser » la cité des racailles use de leur vocabulaire pour s’adresser à son collègue : « Je vais te casser la gueule, salaud ! Connard ! »
Sarkozy, c’est un style.