Le K.-O. de l’ange
Dans le premier film de Magaly Richard-Serrano, ancienne championne de boxe, la compétition tient lieu de condition
sociale et familiale.
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Elle s’appelle Angie. Ou Ange. Les yeux d’une fille, les épaules d’un garçon. 49,7 kg. Que des muscles. Tout secs. La mâchoire un peu en avant, surtout avec le protège-dents. Le mot rare mais le regard éloquent. Sandra, c’est sa cousine, sa presque jumelle, sa presque concurrente. Elles ont grandi ensemble, s’entraînent ensemble, dorment ensemble, encore dans la même chambre, à 20 ans. Leurs lits se font face, mais pas elles : elles ne boxent pas dans la même catégorie. Cette différence de 6 kg, cet écart de poids entre les deux, c’est ce qui a maintenu en équilibre leur petite famille depuis plus de dix ans. Depuis que Sandra est venue vivre chez Angie. Depuis que Joseph, le père d’Angie, patron d’une salle de boxe en banlieue, les entraîne en même temps. Le jour où Sandra décroche le titre de championne de France, Angie prend un K.-O. La petite famille aussi.
Dans les cordes n’est pas seulement un film sur la boxe, filant la métaphore de l’affrontement avec l’autre, et avec la vie. C’est un film qui tire de son sujet une énergie peu commune pour dynamiser l’image, le climat, les échanges, le groupe. La force du premier long-métrage de Magaly Richard-Serrano, ancienne boxeuse, tient aussi à sa manière d’élargir légèrement le cadre du face-à-face pour y laisser entrer un peu de l’extérieur, et des autres. Un peu du temps avant le match. Un peu du père-entraîneur (Richard Anconina, pertinent). De la mère en tenue léopard (Maria de Medeiros). De l’appartement trop petit visité par les feux des avions qui décollent non loin. Un peu des vestiaires, du brillant des joggings, de l’ambiance des pseudo-galas d’un petit club fauché qui tente d’occuper les gamins de cette cité au bord du périph. Un peu des courses, à six heures du mat’, en petites foulées entre les tours. Un peu de la peur, aussi, d’une jeune fille (Louise Szpindel, épatante) qui n’est plus sûre de savoir ce qu’elle veut faire de ses deux gants.
Comme la plupart des films de boxe, Dans les cordes est fortement ancré dans un environnement très urbain et très populaire. Sauf qu’Angie, c’est pas comme Rocky ( Rocky ), Diana ( Girlfight ) ou Maggie ( Million Dollar Baby ). La boxe, elle est née dedans. Elle lui a donné de la détermination (comme son père). Un truc pour lequel se battre dans la vie (pas comme sa mère). Elle l’a tenue à l’écart des gars de la cité, qu’elle ne voit même pas, absorbée dans sa course, le walkman sur les oreilles. Elle l’a protégée des se-crets de famille. Mais elle l’a empêchée de grandir aussi. Et d’imaginer un autre horizon que la salle, les titres et, plus tard, l’Insep… Angie ne boxe pas pour sortir des rails ou prendre une revanche sociale. Mais pour faire plaisir à son père.
C’est en cela que Dans les cordes se distingue des autres films du genre (sauf du Virgil de Mabrouk El Mechri), mais c’est aussi une histoire d’émancipation, où le K.-O. fait figure d’électrochoc. La réalisatrice filme souvent à l’épaule, et serré. Un peu trop. L’effet est génial sur le ring. Tendu en dehors. Sauf quand l’action s’arrête. Les temps morts servent de caisse de résonance. Une confidence à Macha Béranger sur France Inter remplace une révélation classique. Quelques notes de la musique qu’Angie écoute sous son casque laissent deviner ses doutes, ses rêves, son envie, peut-être, d’arrêter de donner des coups. Et d’arrêter d’en prendre.