Yves Salesse : « L’unité est une perspective indispensable »
Pour le porte-parole de la campagne de José Bové, le vote utile et la division des forces de transformation sociale expliquent les mauvais résultats de la gauche. Il appelle, néanmoins, à la poursuite d’initiatives unitaires pour les législatives.
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Les résultats de la gauche, et singulièrement de sa composante antilibérale, ne sont pas bons. Quelles sont les raisons de cette contre-performance ?
Yves Salesse : Globalement, la totalité des voix de gauche recueillies par des candidats de gauche est extrêmement faible. Nous sommes confrontés à une droite à l’offensive incarnée par Nicolas Sarkozy, candidat du grand patronat avec des qualités de mystificateur. Il a réussi à faire croire à une partie des couches populaires qu’il s’intéressait à leurs problèmes et qu’il était capable de les résoudre. La première tâche évidente consiste donc à poursuivre le travail d’explication sur la réalité de la candidature Sarkozy, de son projet, de son programme, de façon à tout faire pour le battre.
D’autre part, le PS a mis en route une machine redoutable. Les résultats témoignent d’un désarroi général, y compris à gauche. Le programme présidentiel de Ségolène Royal n’est pas à la hauteur des exigences de la situation et donc ne permet pas d’apporter une réponse claire aux problèmes auxquels les gens sont confrontés. Le PS a essayé de combler ce manque de hauteur en jouant de la machine de guerre du vote utile. Cela a marché. Mais le vote utile a eu une dynamique qui a dépassé Ségolène Royal. Le raisonnement qui a consisté à convaincre tout le monde de voter pour elle a conduit à un vote massif en faveur de Bayrou.
José Bové, lors d’un meeting de campagne à Arras, le 19 avril.
AFP/Philippe Huguen
C’est redoutable parce que cela veut dire qu’il y a une perte des repères. Et c’est un des éléments d’explication de la faiblesse de nos résultats. Nous avons été laminés par le vote utile, et pas seulement nous. Il y a eu une espèce de petit vote utile interne à la gauche de gauche vers Olivier Besancenot. Tout cela donne un résultat extrêmement mauvais, une gauche de gauche qui fait moins de 10 %. Et donc un rapport de force à l’intérieur de la gauche qui n’est pas bon du tout.
La gauche n’a-t-elle pas failli dans son ensemble par une absence de travail idéologique ? Peut-elle reconquérir le terrain ?
Je ne crois pas que c’est une question de travail idéologique. Ce sont des questions d’orientation politique très précises et concrètes qui s’affrontent. Si Ségolène Royal défend son pacte calamiteux, ce n’est pas par manque de travail idéologique, c’est par une orientation social-libérale dont on connaît les racines. Et l’échec de la candidature antilibérale n’est pas lié à une insuffisance de travail idéologique, mais à des orientations politiques très pratiques du côté de la LCR et du PCF : le souci primordial de l’organisation, de sa construction et de sa défense, a dominé sur l’engagement dans une dynamique de rassemblement qui ne soit pas le leadership de l’un ou de l’autre parti.
On avait largement de quoi faire avec les 125 propositions pour mener cette campagne et postuler à une modification de la composition de la gauche, battre le social-libéralisme, et donc postuler à la majorité en France. Si on compare ce programme avec ceux préparés par « les grands candidats », il tenait la distance. Maintenant, il y a un gros travail à poursuivre, un travail de fond, parce que ces 125 propositions ne sont pas l’alpha et l’oméga.
Ne serait-il pas temps de faire ce travail auprès de l’électorat populaire, que Nicolas Sarkozy arrive à mystifier facilement ?
Là encore, je ne crois pas que cela soit une question de réflexion idéologique et de travail de fond. Quand on est dans des secteurs populaires qui vivent mal, qui prennent des coups, la première question que se posent les gens, quand ils ne sont pas des militants inscrits dans l’activité politique, organisée ou non, est de savoir si ceux qui leur font des propositions représentent une force sérieuse. C’est pourquoi la division de la gauche de transformation sociale a été une terrible prise de responsabilité politique de la part de la LCR et du PCF : des propositions qui peuvent être très largement acceptées dans les couches populaires la campagne l’a montré sont privées de la crédibilité d’une force susceptible de les porter.
On a donc un affrontement entre deux programmes, celui de Nicolas Sarkozy et celui de Ségolène Royal, qui ne disent évidemment pas les mêmes choses. Mais, dès lors que celui porté par la candidate de gauche apparaît comme totalement insatisfaisant, car ne permettant pas de répondre aux exigences les plus élémentaires de la vie quotidienne et des problèmes rencontrés, le jeu est ouvert. Et les couches populaires peuvent être tentées d’aller voir ailleurs avec quelqu’un qui apparaît comme dynamique, se bougeant, n’hésitant pas à dire ce qu’il pense…
Dans de telles conditions de division, fallait-il maintenir la candidature de José Bové ?
Il fallait la maintenir parce qu’il n’aurait pas été juste de ne laisser comme porte-parole de la gauche de transformation sociale que ceux qui avaient pris la responsabilité de la division. D’autant plus qu’ils restent dans les rails classiques : « Rejoignez-moi, et hors du grossissement de mon organisation, point de salut ! » Encore une fois, c’est le vote utile qui nous a conduits à un score si bas. J’en trouve la confirmation dans la campagne telle qu’elle s’est déroulée. Elle a été étonnante par bien des aspects, jusqu’au dernier meeting de Toulouse, avec ces milliers de personnes qui ont écouté attentivement les prises de position politique et ont manifesté leur enthousiasme à chaque fois qu’a été exprimée l’unité du rassemblement des forces de la gauche antilibérale.
Est-ce un jalon pour l’avenir ?
C’est évident, sauf si l’évolution de la situation fait que cela entraîne une démoralisation et une dispersion générales. De nombreuses personnes qui n’ont pas l’habitude de se mêler de politique ou de s’inscrire dans une activité de ce type ont participé à cette campagne, en peu de temps et sans organisation rôdée. Cette campagne et cette candidature ont été une façon d’enrayer la démoralisation.
Envisagez-vous avec José Bové de reprendre contact avec les dirigeants de la gauche de transformation sociale et d’essayer de repartir sur des initiatives unitaires ?
À court terme, notre score ne nous met pas dans une situation idéale pour faire des propositions, mais il serait très utile qu’il y ait des initiatives communes pour battre Sarkozy. Ces initiatives communes maintiendraient des propositions qui se distinguent de celles de Ségolène Royal et un engagement déterminé pour battre la droite. Il faut maintenir la bataille pour ces candidatures unitaires aux législatives. Dans l’immédiat, on voit bien que cela va se heurter à la logique d’auto-affirmation de la LCR, qui sort confortée de cette élection, et même du PCF, qui a déjà annoncé des centaines de candidats aux élections législatives.
À plus long terme, le rassemblement des forces diverses de transformation sociale, qui ne sont pas simplement des forces politiques, est une perspective indispensable si l’on veut peser. L’une des conditions est que l’orientation sectaire de division qu’ont manifestée la LCR et le PCF soit battue. On y verra plus clair dans quelques semaines ou quelques mois.