Arménie, l’impossible oubli
Une pièce-témoignage
écrite et interprétée par le comédien Pascal Tokatlian.
dans l’hebdo N° 952 Acheter ce numéro
« Ermen », comme Arménie. L’acteur Pascal Tokatlian, apprenant que l’une des pièces auxquelles il participait devait être reprise en Turquie, fut saisi d’un sentiment de terreur. Il ne partit pas à Istanbul, mais il écrivit Ermen, titre provisoire, une pièce autour de ses origines arméniennes et de l’histoire de son peuple. Le texte intéressa Julie Brochen, directrice du théâtre de l’Aquarium, qui produisit et supervisa ce spectacle créé l’an dernier, et repris ces jours-ci. Il n’y a pas plus modeste. Tokatlian interprète lui-même sa pièce dans un lieu quasiment nu, en compagnie du musicien Gaguik Mouradian, qui tire des cordes de son kamantcha une musique plus envoûtante que plaintive.
Tokatlian emboîte ses propres souvenirs de fils d’immigré à l’intérieur de témoignages sur le génocide des Arméniens par les Turcs en 1915. Sans expliquer le montage, comme si les faits d’avant-hier et des épisodes d’hier se répondaient d’eux-mêmes, comme si l’atrocité de l’histoire était un poids terrible sur les années présentes, mais ouvrait aussi une voie vers l’espoir. Les récits des déportations et des massacres, Tokatlian les a empruntés à Aram Andonian dans la Revue d’histoire arménienne contemporaine : effarante suite de meurtres programmés et de fuites désespérées. Le passé de la famille de Tokatlian provient, pour beaucoup, de l’écoute des confessions d’un grand-père, telles qu’elles parviennent à un enfant. L’acteur ne les a pas enjolivées : les réfugiés se disputent des pièces d’or trouvées dans un grenier, un oncle organise des matches de catch truqués, et ainsi de suite.
Le jeu de Pascal Tokatlian est sobre, faussement neutre, secrètement douloureux. L’interprète n’accuse pas, il garde quelque chose des surprises de l’enfance. C’est très court (moins d’une heure), mais d’une beauté si brute et poignante qu’on aimerait que Tokatlian reprenne et amplifie, un jour, son texte.