Dans les bois
Avec « Lady Chatterley », César 2007, Pascale Ferran, qui n’avait plus tourné depuis treize ans, dégage un espace d’une exaltante sérénité.
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Il y a d’abord ce corps tendu, sur une chaise, dans une tenue distinguée, qui écoute, en apnée, les anciens combattants raconter les soldats qu’ils ont vus, décapités, courir encore sur le champ de bataille. Et puis il y a ce même corps, assis sur le plancher d’une cabane, nu, offert à la chaleur et aux couleurs d’un feu de cheminée. Entre les deux : un trajet, dans l’espace et dans le temps. Un trajet qui permet à Lady Chatterley (Marina Hands) de quitter le château, son statut social, son mari paraplégique (Hippolyte Girardot), sa lassitude, pour trouver la forêt, les mains d’un homme, le sexe d’un homme, l’amour d’un homme.
L’utopie, dans ce film de Pascale Ferran, son troisième après Petits Arrangements avec les morts (1993) et l’Âge des possibles (1995), n’est pas seulement dans le récit de cette idylle qui bouleverse la lutte des classes et les interdits de l’Angleterre des années 1920. Elle est aussi dans cette exaltante sérénité qu’offrent la nature, le désir et les sentiments amoureux. Presque un conte de fées si Pascale Ferran n’avait finement tenu à conserver, dans le doux processus de désaliénation qu’elle relate, les gênes et le quant-à-soi de la lady et de l’homme des bois (Jean-Louis Coulloc’h). En adaptant la deuxième version de l’Amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence, la cinéaste a choisi la moins tourmentée, celle où les personnages sont pleinement dans ce qu’ils vivent et non dans le commentaire. D’où une mise en scène qui accentue le dialogue des corps.
Dans les bonus du DVD qui comptent des entretiens croisés (décevants), un making off et des scènes commentées (éclairantes) Marina Hands raconte de quelle façon elle et Jean-Louis Coulloc’h ont répété des successions de gestes comme des mouvements de danse, dans l’idée qu’ils ne devaient pas interrompre les échanges parlés mais les prolonger. Ainsi, ces gestes disent mieux que le texte ce qui se noue entre les personnages. Comme si les mots restaient prisonniers de comportements policés et complexes que le corps viendrait contredire, apaiser. Pascale Ferran explique que, lors du tournage, elle ne commençait à approcher ce qu’elle voulait qu’à la huitième prise. Il y a quelque chose de flaubertien dans sa manière de travailler chaque scène pour parvenir à une sorte d’épure qui dirait tout en ayant l’air de rien.
Plus Constance et Parkin se mettent à nu dans ce film, et plus ils s’étoffent. Plus ils s’effeuillent de tout ce qui encombre leur relation et plus ils se révèlent. En filmant le double retour à la vie de ces personnages, la réalisatrice ne s’interdit rien : ni une exaltation, parfois trop volontariste, de la nature, prodiguant concert d’arbres, caresses du soleil, douche de pluie et bain de boue… Ni une certaine naïveté dans les jeux amoureux, qui mêlent réactions enfantines et maturité assumée. Ni des inserts de cartons de cinéma muet ou de sa propre voix, qui font progresser les saisons hors champ et off. Ni un voyage tourné façon super 8. Ni la tentation de finir sur un accord… Lady Chatterley, l’espace des possibles ?