Éternel insoumis

Ancêtre des pacifistes israéliens, Uri Avneri, 83 ans, était de passage ces jours-ci à Paris. Rencontre avec un esprit libre.

Denis Sieffert  • 31 mai 2007 abonné·es

Nous avons tellement l’habitude de regarder les événements à la loupe, et les événements sont si déprimants… Quarante ans après l’entrée des troupes de Moshe Dayan à Jérusalem-Est et le début de la colonisation – une colonisation qui n’a cessé de croître –, il faut avoir l’âme chevillée au corps pour conserver une once d’optimisme. L’âme chevillée au corps, c’est ce que doit avoir un vieux monsieur de 83 ans, toujours droit comme un « i », les cheveux pas plus blancs qu’ils n’étaient déjà il y a vingt ans.

Cet homme, c’est Uri Avneri, l’ancêtre des pacifistes israéliens, et toujours l’un des plus coriaces. Sa conversation est un bain de jouvence. « Je resitue les événements par rapport à une époque beaucoup plus lointaine, des années 1950 ou 1960. La conscience des Israéliens a changé en profondeur , dit-il, et dans le bon sens. » « Aujourd’hui, une immense majorité est favorable à la création d’un État palestinien, et beaucoup admettent même un partage de Jérusalem. Ce qui était impensable à cette époque-là. »

Ce n’est pas seulement le bénéfice de l’âge qui permet ces comparaisons. C’est aussi une mémoire opiniâtre des premières années d’insoumission, et qui refuse la nostalgie. Pour Uri Avneri, ce n’était jamais mieux hier. En tout cas, il n’en démord pas : la place des pacifistes est au coeur de la société israélienne, pour y faire entendre une autre voix. L’autre jour, de passage à Paris, il ne décolérait pas, d’une colère froide, contre son ami l’historien Ilan Pappe, qui, traqué, harcelé par ses pairs, vient de se résoudre à quitter le pays.

Uri Avneri, lui, ne sourcille pas. Pionnier d’un journalisme indépendant, jadis rédacteur en chef de l’hebdomadaire Haolam Haze , député dans les années 1970, puis animateur depuis 1992 de Goush Shalom, le Bloc de la paix, il est solidement planté dans la société israélienne dont il est un irremplaçable observateur. Ces jours-ci, il bataille ferme contre l’idée « binationale ». Sur son site, dans son discours, il emploie les mêmes mots : « Ce mot d’ordre nous fait perdre un temps précieux. Il fait peur aux Israéliens. Pour eux, la conception d’un seul État [ou Juifs et Arabes cohabiteraient, NDLR] est un code qui signifie destruction d’Israël. » Or, pour le vieux pacifiste, c’est la peur qui fait régresser les Israéliens chaque fois qu’une occasion de paix se présente. Tout ce qui fait inutilement peur doit être banni du discours politique. Un seul mot d’ordre doit les réunir : celui de « deux États dans les frontières de 1967 ». On peut ne pas partager ces analyses ? Celle-ci ou d’autres, parfois très optimistes, notamment sur les évolutions démographiques dans la partie arabe de Jérusalem, mais on lit toujours avec le même intérêt ses analyses, qui n’en finissent pas de prendre le pouls d’une société qu’il observe et dont il combat avec force les excès et les dérives. « Il faut convaincre les Israéliens que la paix est bonne pour eux » , écrivait-il récemment sur son site, avant de conclure par ces mots qui résument bien le personnage : « J’ai décidé de vivre jusqu’à ce que cela arrive ! »

Monde
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