Gauches européennes : la crise d’identité

À l’heure où Tony Blair quitte le pouvoir en Grande-Bretagne, la question du renouveau de la social-démocratie se pose partout en Europe. En France et ailleurs, la « course au centre » peut-elle s’accompagner de recompositions à gauche ?

Olivier Doubre  • 17 mai 2007 abonné·es
Gauches européennes : la crise d’identité

Le parti socialiste français fait mouvement vers la droite. Il n’est pas le seul. Ce « recentrage » de la social-démocratie européenne est général. Avec d’infinies variantes. Et toutes sortes de conséquences à gauche de la gauche. Quelles sont, dans les pays européens comparables à la France (voir la carte ci-contre), les rapports de forces au sein de la gauche ? Quelles alliances ? Quels choix programmatiques ­ et avec quelles conséquences électorales ­ ont opéré les grandes formations « progressistes » de gouvernement ? Avec la mondialisation et après plus de vingt-cinq ans de domination idéologique néolibérale, un véritable « renouveau de la social-démocratie » ­ pour reprendre un terme cher à Anthony Giddens, éminence grise de la « troisième voie » blairiste [^2] ­ est-il (encore) possible, sans que les partis adhérents à cette vieille dame qu’est la Deuxième Internationale perdent en chemin la plupart des valeurs sur lesquelles ils se sont construits ? Enfin, les gauches antilibérales et altermondialistes parviendront-elles à peser réellement sur les débats et les choix politiques de leurs pays respectifs ?

Illustration - Gauches européennes : la crise d’identité

Ces interrogations se posent de façon cruciale à gauche, au moment où Tony Blair, premier chef de gouvernement travailliste dans l’histoire britannique à avoir été réélu trois fois de suite, annonce son départ du 10, Downing-Street. On sait quelle fascination il a exercé sur une bonne partie de la gauche réformiste européenne du fait de la « modernisation » du Parti travailliste en « New » Labour et, surtout, d’une politique économique qui, tout en réinvestissant dans les transports publics et le système de santé britanniques ruinés par les conservateurs, a largement poursuivi l’élan néolibéral de ces derniers. Le succès électoral de Tony Blair, après plus de quinze ans de gouvernements ultralibéraux (de Margaret Thatcher puis John Major), repose en effet pour une large part sur une promesse de quasi-continuité avec leur politique. L’écrivain engagé Tariq Ali, dans son virulent pamphlet contre la politique du New Labour [^3], a montré, chiffres à l’appui, la poursuite du thatcherisme (notamment l’absence de toute régulation des marchés mais aussi l’accroissement considérable des inégalités sociales en Grande-Bretagne), depuis 1997, année de l’arrivée de Tony Blair au pouvoir. Mais c’est en fait la stratégie de déplacement idéologique du Parti travailliste sur sa droite, couronnée de succès, qui n’a cessé de fasciner les partis sociaux-démocrates européens. Nombre de dirigeants réformistes européens y ont vu une voie possible à leur redressement électoral.

La démarche blairiste a donc en quelque sorte « décomplexé » les social-démocraties continentales en Europe dans leur « course au centre », à l’heure où les exigences de la mondialisation libérale ­ qu’elles refusent d’affronter ­ réduisent leur latitude en matière de politique économique et sociale. Anthony Giddens le disait d’ailleurs clairement dès 1998 : « Le terme « centre gauche » n’est plus innocent. Une social-démocratie renouvelée doit être la gauche du centre. » Et d’ajouter alors : « Cela implique que « centre gauche » ne signifie pas la même chose que « gauche modérée » »

Or, à la différence du Royaume-Uni et de son mode de scrutin à un tour, le recentrage des partis de gauche réformistes en Allemagne, Hollande, Norvège, Belgique ou Autriche permet le plus souvent la formation de coalitions avec le centre et, parfois même, avec les conservateurs. En Italie, cette dynamique politique a été poussée à l’extrême avec la fusion en un Parti démocrate des ex-communistes (devenus sociaux-démocrates) et du centre-gauche démocrate-chrétien.

À terme, la gauche de la gauche devrait pouvoir tirer profit du vide politique créé par cette tentation récurrente du centre pour les sociaux-démocrates. Une possibilité de recomposition politique existe donc pour les forces antilibérales, si elles parviennent à dépasser leurs divergences. Elles peuvent espérer constituer une force au poids électoral non négligeable. Les exemples allemands, norvégiens et néerlandais sont là pour le confirmer. Les formations de gauche radicale italiennes tentent actuellement de prendre ce chemin et de réaliser leur unité. Puisse cet exemple faire des émules ailleurs en Europe !

[^2]: C’est le titre de son livre, coécrit avec Tony Blair, paru au Seuil en 2002 avec une préface de Jacques Delors.

[^3]: Voir Quelque chose de pourri au Royaume-Uni, Tariq Ali (traduit de l’anglais par Jean-Luc Fidel, Raisons d’agir éditions, 144 p., 6 euros), et l’entretien qu’il nous a accordé dans Politis n° 939.

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