Paysages et distorsions

Une exposition des images du Sud-Africain David Goldblatt,
entre réel et hallucination du réel. Une métaphore de l’apartheid,
et l’image d’un pays qui a retrouvé une certaine « normalité ».

Jean-Claude Renard  • 17 mai 2007 abonné·es

Derrière lui, ou plutôt derrière l’objectif, un long parcours calé dans l’histoire, bouleversée bouleversante d’un pays, son pays, l’Afrique du Sud. Durant l’apartheid, il glisse dans sa boîte noire les Afrikaners d’une part, les Noirs d’autre part, pour une image qui se veut une analyse de la structure sociale et culturelle. Sur plusieurs années, il agrippe l’évolution et la fin de l’apartheid. La galerie Marian Goodman, à Paris, propose deux volets différents du travail de David Goldblatt, l’un en couleur, l’autre en noir et blanc (de l’avant et de l’après, peut-être, ou inversement).

Dans une première salle : six grands formats, quatre triptyques. Le motif alterne paysages et intérieurs. De l’un à l’autre, l’image transpire d’aridité, d’un minimalisme aux portes du lyrisme, quelque chose au pur de l’épure recrachant des couleurs. Ici, un paysage lunaire teinté d’ocres, de terres de Sienne ; une bâtisse esseulée dans la plaine verte, où la verticalité des arbres tranche brusquement avec la platitude du relief ; un chantier de baraques à l’identique en construction, qui prend des allures ordonnées de damier. Là, un triptyque de chaussures à l’étal et une cabine d’essayage, distribué façon panoramique, à l’horizontal, soulignant la répétition, cette même répétition saisie dans un alignement de chaises blanches en plastique, le long d’un mur non moins blanc. Deux affichettes, bleu et rouge (« Ne pas boire, ne pas manger dans ce bureau »), fixées au mur, viennent bousculer ce dégradé étiré sur la clarté.

Pour toute image, le cadre, et, à l’intérieur du cadre, une composition où chaque élément est posé, voire déposé sur la pellicule, où la confrontation se joue entre les pleins et les vides, les volumes et les couleurs, monochromes ou contrastées. Avec une impression qui domine, celle de faire récit, moyennant une rencontre esthétisée du perplexe et du silence crevant le temps. L’Afrique du Sud a retrouvé une certaine « normalité », il n’en reste pas moins une interrogation qui pousse du côté de l’énigmatique Tempête de Giorgione.

Autre salle (au sous-sol), autre exercice, en noir et blanc, autre approche photographique : une série intitulée « Particulars », réalisée en 1975. Vingt-neuf images. Comme dans la salle supérieure, les légendes sont en anglais (élitisme ou pas de la galerie, c’est dommageable). Série de plans rapprochés et de gros plans. Des genoux qui se croisent, trois doigts, dépassant d’une couverture, éclaboussant leur peau striée, un visage de vieille dame de profil, le buste d’un homme allongé (endormi ?), deux corps sur un banc qui se font dos, la paume d’une main barbouillée de lettres et de chiffres, les molles et grasses cuisses d’une femme, un sein qui tombe lascivement sur l’avant-bras. Quand l’objectif prend un peu de recul (vraiment un peu, guère plus), il se pointe sur un cordonnier de fortune, installé dehors, derrière un grillage, à l’ombre d’un arbre. On n’en voit jamais qu’un bout.

Soit un bric et broc de corps, des bribes de membres qui relèvent autant de l’arrachement que du turbin de l’équarrisseur. Synecdoque de l’apartheid sans doute (la partie pour le tout), qui rend compte métaphoriquement d’un pays meurtri, morcelé, divisé. Le rapprochement sur le corps de Goldblatt ne vire pas en réel mais dans une distorsion, sinon une hallucination du réel. Au diapason de son pays sans doute.

Culture
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