Rupture audacieuse ou effets d’annonce ?

Patrick Piro  • 24 mai 2007 abonné·es

L’habileté de Nicolas Sarkozy n’a pas fini de donner du fil à retordre à son opposition. Alain Juppé à la tête d’un grand ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables ! Pour une rupture, c’en est une, et même trois, qu’aucun écolo politiquement sensé n’aurait eu, il y a peu, l’audace de revendiquer simultanément, voire séparément.

La première, c’est de donner rang de ministre d’État – c’est même le seul du gouvernement – au titulaire du poste, numéro deux du gouvernement. Du jamais vu : le ministère n’a jamais dépassé le 10e rang dans l’ordre protocolaire. Sur le papier, ça a fière allure. De même – deuxième nouveauté inédite– que de réunir sous le même maroquin environnement, énergie, transport, habitat, urbanisme et aménagement du territoire. Ne manque que l’agriculture à l’appel, à l’intérieur de ce vaste périmètre. Mais, à l’évidence, la priorité assignée par Sarkozy à son ministre n’est pas la lutte contre la pollution aux pesticides ou la qualité de l’eau, mais la bataille climatique, y compris dans les arènes internationales, où la France a surtout brillé par ses discours. Juppé a le poids politique et l’expérience requis, et c’est la troisième innovation : jamais l’écologie n’avait auparavant été confiée à une personnalité du calibre de l’ex-Premier ministre de Chirac.

Sarkozy honore donc sa promesse de créer un « grand ministère du développement durable ». Il tient encore sa parole en convoquant les associations écologistes, et moins d’une semaine après son entrée en fonction, à la préparation d’un « Grenelle de l’environnement », autre proposition sans précédent. Il se tiendrait à l’automne avec syndicats et organisations patronales, sur le modèle des accords de Grenelle signés avec les partenaires sociaux pour résoudre la crise de Mai 68. Serge Orru, directeur général du WWF, voit un symbole fort dans l’adhésion du gouvernement à cette référence historique suggérée par les associations écologistes pendant la campagne présidentielle. « Cela signifie ouverture, négociations, aucun sujet tabou, volonté de résultats. C’est le résultat d’un rapport de force que nous sommes parvenus à établir. »

Mais, au lendemain de l’investiture de Sarkozy et en pleine préparation des législatives, de telles avancées, si spectaculaires soient-elles, restent d’abord des effets d’annonce. Leur reconnaître des vertus ne mange pas de pain, mais faudra-t-il se contenter de cette maigre satisfaction ?

On peut déjà le redouter. Pas au vu des états de service insignifiants du ministre, qui raconte avoir été touché par la révélation lors de son année de purgatoire au Québec [^2]
: les néo-convertis ne sont pas toujours les pires. En revanche, les premières annonces de Juppé le confirment, sa ligne ne devrait pas dévier d’un pouce de l’ersatz de programme écologique du candidat Sarkozy, si mal noté par les associations (8,5/20). Fer de lance de la bataille contre les émissions de gaz à effet de serre : le doublement de la fiscalité écologique (2,3 % du PIB) pour favoriser les comportements « verts », mais sans autre précision ; pour les OGM, on va « contrôler strictement » (pas de moratoire donc) ; dans la lutte contre le dérèglement climatique, Juppé parle de s’attaquer à l’avion, mais quid de la bagnole ? Etc.

Et d’entrée de jeu, la confirmation du nucléaire, dont le nouveau réacteur EPR. Jusque-là, l’atome était rangé par les ministres de l’Écologie dans la catégorie des nuisances qu’il leur incombait de combattre, dans un affrontement très inégal avec leurs collègues de l’industrie. Roselyne Bachelot, la première, avait franchi la frontière dès sa nomination au gouvernement Raffarin en 2002, qualifiant le nucléaire « d’industrie la moins polluante » : elle avait été très chahutée par les médias et les associations.

L’aplomb de Juppé n’a pas déclenché, de loin, semblable émoi. Deux interprétations possibles : il s’agit d’une des couleuvres à avaler, par l’opinion écolo, en contrepartie du spectaculaire dispositif ministériel, et l’affirmation que l’enjeu climatique sera prioritaire sur tout autre dossier environnemental ­ l’atome émet très peu de gaz à effet de serre. Ou bien il s’agit du premier signe, redouté, que l’écologie a toutes les chances de subir une implacable édulcoration au sein du ministère. Sous la cohérence institutionnelle du ministère poindront suffisamment tôt les limites d’une conception écologiste adossée sans complexe aux dogmes du libéralisme et de la croissance.

[^2]: Jusqu’à l’été dernier, à la suite de sa condamnation pour inéligibilité dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris.

Écologie
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