Silence ! On ne tourne plus

Une histoire du cinéma italien, du début du siècle à aujourd’hui,
d’une production abondante à une peau de chagrin.

Jean-Claude Renard  • 10 mai 2007 abonné·es

Aucun film italien n’est en compétition officielle cette année à Cannes… Cette absence témoigne d’un cinéma qui a perdu de sa splendeur. Loin des premiers pas, comme le rappelle ce long reportage articulé autour de Rome, dessinant le récit d’un septième art autrefois puissant et fécond. Car, né à Turin, le cinéma italien connaît très vite un essor considérable (il y avait cinquante sociétés de production en 1914) et un succès international. D’abord spécialisés dans le film historique (telle cette première version des Derniers Jours de Pompéi , tournée en 1908), et le péplum, les producteurs s’orientent alors vers le film d’aventures. La décennie 1930 est marquée par un cinéma de propagande (qui fait la part belle à l’ordre moral) et surtout d’évasion, subventionné par l’État, pour échapper aux réalités de l’Italie fasciste. En 1937, sont inaugurés à Rome, et en grande pompe par Mussolini, les studios de Cinecittà, avec l’idée d’en faire un instrument du régime. Non pour longtemps. Une poignée de réalisateurs va proposer une observation attentive des réalités quotidiennes humaines et sociales dans un cadre privilégiant les décors naturels.

Si Visconti se révèle en précurseur dans une adaptation du roman de James Cain, Le facteur sonne toujours deux fois , avec Ossessione (1943), l’oeuvre de Roberto Rosselini, Rome, ville ouverte (1945), sur les tragiques conséquences de la guerre, s’impose comme le film fondateur du néoréalisme. Visconti enchaîne Terra trema , documentaire social sur les pêcheurs, mineurs et paysans de Sicile. Dans la même veine, l’acteur réalisateur De Sica, dans Sciuscià et le Voleur de bicyclette , brosse le portrait de cette Italie d’après-guerre en proie au chômage et à la misère. Non sans influencer les générations suivantes, le néoréalisme s’éteint au début des années 1950.

À vrai dire, il s’éteint pour réapparaître sous une autre forme, la comédie italienne. Même cadre, même réalité. À cela près que le motif est traité, détourné par le rire. Monicelli ouvre le genre avec Gendarmes et voleurs (1951) et le Pigeon (1958). Luigi Comencini, avant de faire un cinéma imprégné du thème de l’enfance, tourne Pain, amour et fantaisie (1953), et Risi emboîtera le pas de cette légèreté, signant des oeuvres hilarantes et bouffonnes ( le Fanfaron , les Monstres ). Les années 1960 représentent l’apogée du cinéma italien, soutenue par une puissante infrastructure industrielle (la production atteint plus de 200 films par an). De nouveaux auteurs s’imposent (de nouveaux monstres pourrait-on dire). À commencer par Fellini. Après avoir tourné I Vitelloni (1953), remarquable évocation de sa ville natale (Rimini), puis la Strada (1954), il se révèle au grand public en 1960 avec la Dolce Vita (Palme d’or au Festival de Cannes). Ses films aux images fabuleuses, foisonnantes et baroques, gavées de fantasmes, sont les articulations d’une mémoire vive ( Huit et demi , 1963 ; Le Satyricon , 1969 ; jusqu’à la Voce della luna , 1990). Antonioni propose, en 1960, l’Avventura , qui donne le ton de toute une oeuvre inspirée par la solitude et l’incommunicabilité entre les êtres.

De son côté, Visconti réalise Rocco et ses frères en 1960 (une année exceptionnelle si l’on en juge par la succession de titres) puis, en 1963, le Guépard (Palme d’or à Cannes). Ces années marquent également les débuts de cinéastes engagés, dont le plus important pourrait être Pasolini, virevoltant provocateur, puisant son inspiration dans les faubourgs prolétariens, la fable, la mythologie et le Nouveau Testament ( Mamma Roma , l’Évangile selon saint Matthieu , le Décaméron ). À Pasolini s’ajoutent Rosi, dans l’analyse politique et sociale ( Main basse sur la ville ), puis Ferreri, iconoclaste et turbulent…

Le cinéma transalpin rayonne ainsi, dans un mélange de genres, jusqu’à l’orée des années 1980, victime de la concurrence télévisuelle et de l’effondrement du marché. Seul Nanni Moretti porte le poids du grand écran sur les épaules, avec un cinéma attaché à l’écriture ( Bianca , La messe est finie , Palombella Rossa ou encore Journal intime ). Il y a bien Luchetti, Crialese, Verdone, Tullio Giordana, mais, à l’exception de Moretti, le cinéma italien s’est étouffé. Les succès internationaux de Tornatore ou de Benigni sont des cache-misère. Aujourd’hui, les studios de Cinecittà abritent essentiellement les productions de séries américaines. Le temps est au générique de fin.

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