Un vent de recompositions

La naissance du Parti démocrate, fusion de la social-démocratie italienne avec les démocrates-chrétiens de Romano Prodi, a ouvert un large espace politique à gauche. Comme souvent dans le passé, le « laboratoire » politique italien expérimente les différentes voies possibles.

Olivier Doubre  • 17 mai 2007 abonné·es

Le 21 avril dernier, réunis en congrès dans leur fief de Florence, les Démocrates de gauche (DS), le plus grand parti de la gauche italienne, lointains héritiers du Parti communiste italien (PCI) ayant rejoint, après la chute du mur de Berlin, la social-démocratie européenne, ont décidé de s’unir aux chrétiens-démocrates de la Margherita, le parti centriste de Romano Prodi (voir Politis n° 949). Ce dernier, tenant congrès à Rome le lendemain, a approuvé la même direction.

Un Parti démocrate à l’américaine verra donc le jour, à l’issue d’une « assemblée constituante », le 16 octobre prochain, date anniversaire des primaires qui ont désigné l’an dernier Romano Prodi candidat au poste de président du Conseil. Reste à finaliser quelques « détails », comme celui ­ non des moindres ­ de l’identité du leader de la nouvelle formation..>

Depuis la fin du régime de « bipartisme imparfait » (selon la dénomination du grand politiste italien Giovanni Sartori), c’est-à-dire l’hégémonie de la Démocratie chrétienne, qui gouverna sans interruption de 1945 à 1992 face à un PCI imposant mais de fait « exclu » du pouvoir, la course au centre n’a cessé d’obséder l’ensemble des partis de gouvernement. Avec la création du Parti démocrate (PD), les deux principales formations qui, aujourd’hui, dominent ensemble le gouvernement Prodi, élu d’extrême justesse aux législatives d’avril 2006, concrétisent un vieux « rêve » de nombre de leurs dirigeants.

D’un point de vue purement tactique, face à une droite berlusconienne multiforme mais plutôt disciplinée, cette opération peut, à première vue, sembler adroite. Toutefois, pour y parvenir, les deux anciens frères ennemis durant la guerre froide ont dû gommer leurs différences idéologiques et historiques, au point que les références communes de la nouvelle formation apparaissent bien floues.

Si ce projet s’inscrit sans aucun doute dans la lignée du fameux concept de parti politique « attrape-tout », formé depuis longtemps en science politique, le futur parti voit déjà de sérieuses difficultés se dresser devant lui. Ainsi, outre la question du leadership, les divisions ont vite ressurgi face au projet de « Pacs » initialement lancé par le gouvernement Prodi. Le 12 mai dernier, une immense manifestation « en défense de la famille », organisée par les mouvements catholiques, a vu la participation de certains dirigeants du futur PD issus de la Margherita, alors que certains ministres DS soutenaient clairement la contre-manifestation de la « fierté laïque » en faveur du texte sur l’union civile…

Reste que bien des observateurs et surtout de nombreux militants posent aujourd’hui ouvertement la question : où est passée la gauche italienne ? De fait, le vide dans l’offre politique, créé par la naissance programmée du Parti démocratique (PD), ouvre la voie à une véritable recomposition sur sa gauche.

Tout d’abord, pas moins du quart des Démocrates de gauche ont refusé de rejoindre le PD, synonyme pour eux d’une « disparition » de la gauche en Italie. Ils ont depuis fondé un nouveau sujet politique, encore informel mais déjà doté d’un groupe parlementaire, sous le nom de Gauche démocratique. Il s’agit des deux motions minoritaires au congrès de Florence, ayant quitté les DS. Emmenée par le sénateur Fabio Musi, la plus importante, avec près de 16 % des délégués, regroupait l’aile gauche des DS et s’est montrée la plus critique vis-à-vis du projet de Parti démocrate. Moins à gauche, celle du député Gavino Angius (9 % des délégués) a longtemps hésité à sortir des DS, mais a fini par franchir le pas. Toutefois, le plus réjouissant est que les partisans de ces deux motions ont rapidement appelé toutes les formations situées à gauche des DS à les rejoindre pour réaliser « l’unité de la gauche » , elles aussi dans une prochaine assemblée « constituante » , dont la date n’a pas encore été fixée. Comme nous le déclarait Angelo Mastrandrea, rédacteur en chef chargé des mouvements altermondialistes et antilibéraux au Manifesto , le quotidien de la gauche critique italienne, « tout le monde essaie de se parler aujourd’hui » . Le désir d’unité est surtout très fort à la base, parmi les militants.

Il semble pourtant qu’une ligne de partage se dessine déjà : si les organisations officiellement communistes (Rifondazione comunista et le petit Parti des communistes italiens) semblent bien décidées à fonder un parti unitaire avec la majorité de la Gauche démocratique (de Fabio Musi), les socialistes ont déjà prévu la tenue de leur propre « assemblée constituante », à laquelle Gavino Angius a annoncé qu’il se rendrait. Ce dernier ainsi que les socialistes ne se retrouvent en effet pas dans un projet radicalement antilibéral, revendiquant fièrement l’héritage du communisme italien. Quant aux Verts, ils peuvent rejoindre la Gauche démocratique et Rifondazione ou rester indépendants : une « assemblée constituante écologiste » est également prévue début 2008.

En définitive, à gauche du PD, on semble aujourd’hui s’orienter vers la création d’un mouvement assez important regroupant communistes et Gauche démocratique, capable de peser 15 % à 20 % dans l’opinion. À côté, un petit parti autour des socialistes devrait voir le jour. En tout cas, le « laboratoire italien » tourne actuellement à plein régime et pourrait bien montrer la voie d’une possible recomposition à d’autres gauches européennes.

Politique
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