Délit d’esprit libre
« Arrêt sur images », sur France 5, et « La Bande à Bonnaud », sur France Inter, disparaissent. Est-ce la fin des espaces indépendants ?
dans l’hebdo N° 958 Acheter ce numéro
La nouvelle est tombée comme une bombe sur le PAF. Le magazine « Arrêt sur images », communément appelé ASI, de Daniel Schneidermann, ne sera pas reconduit à la rentrée. La nouvelle possède aussi sa chronologie. Dimanche 17 juin, lors de la dernière diffusion du magazine de la saison, son animateur principal annonce qu’il ne sait pas encore, pour la première fois en douze ans, si l’émission sera reconduite à la rentrée. C’est donc un « au revoir, ici ou ailleurs ». Le lendemain, le directeur de l’antenne, Philippe Vilamitjana, déclare à Alain Taïeb, le producteur d’ASI, la fin de l’émission, la plus ancienne de France 5, constitutive de son identité. Sans autre justification que l’émission « a vieilli ». Vilamitjana ajoute que « c’est de la responsabilité de la chaîne de changer les programmes » .
Daniel Schneidermann, présentateur d’ «Arrêt sur images ». GUEZ/AFP
Pourtant, « Arrêt sur images » réalisait une audience honorable de 7 %, sans compter les visionnages sur Internet. Surtout, elle était la seule émission à offrir un regard critique sur les médias, une réflexion sur le traitement de l’information. Quelque chose d’intelligent. Quand bien même la personnalité de Schneidermann, que l’on dit autoritaire et à l’ego bien charpenté, pouvait en irriter quelques-uns. ASI serait remplacé par une autre émission, « en direct , précise Vilamitjana, rassemblant des grandes signatures de la télévision, de la radio et de la presse écrite, qui commenteront et décrypteront l’actualité de la semaine » .
Il existe une autre chronologie, celle-là même de l’émission, sa nature et ses choix. Dans les derniers mois se sont succédé la communication de Sarkozy, les risques encourus par le maire de Neuilly sur l’acquisition et les aménagements de son appartement (abus de bien sociaux notamment), l’information censurée au JDD à l’occasion du non-vote de Cécilia, et, lors de la dernière, les images, absentes sur les autres chaînes, de la conférence de presse de Sarkozy au G8. C’est beaucoup. Beaucoup trop. Pour Daniel Schneidermann, « les relations se sont refroidies avec la direction voilà plus d’un an, après l’émission consacrée au traitement de l’information par Béatrice Schönberg sur le gouvernement auquel participait Borloo » . Avant diffusion, la cassette s’était retrouvée sur le bureau d’Arlette Chabot, furibarde.
Pour Schneidermann, la fin d’ASI relève de Patrick de Carolis, président de France Télévisions, « il n’y a pas l’ombre d’un doute » . À vrai dire, on peut se demander comment l’émission a pu durer aussi longtemps. Surtout, souligne Schneidermann, « France 5 renonce là à sa mission, à un volet de son cahier des charges qui comprend un magazine sur le décryptage des médias. En remplacement, ce qui est annoncé n’a rien à voir. Ce sera un club de la presse, avec des éditorialistes qu’on voit déjà partout. Ce ne sera pas un décryptage mais un commentaire de l’actualité. » Ce qui se fait déjà, en effet, partout. Et dans ce grand bazar, on peut suggérer à France 5 d’intégrer dans l’équipe de cette nouvelle émission Catherine Pégard, journaliste du Point passée à l’Élysée en conseiller.
Si ASI a sauté, selon quelques indiscrétions, Serge Moati et son magazine « Ripostes » l’ont échappé belle [^2]. Sans doute la chaîne n’a pas osé supprimer d’un trait les deux magazines. À l’évidence, Moati est en sursis. Aujourd’hui, à la fois en colère et encouragée par les milliers de soutiens [^3], l’équipe d’ASI cherche « un autre espace de liberté, en télévision ou sur Internet, mais ils ont tendance à se raréfier » .
Ce ne sera sûrement pas sur France Inter, qui s’apprête à supprimer « La Bande à Bonnaud », autre émission libre et indépendante. « La presse annonce l’arrivée d’Yves Calvi à la place , observe Frédéric Bonnaud, la direction ne dément pas. La raison officielle est celle de l’audience, l’obsession de la direction, tout en nous plaçant sur la grille des programmes en concurrence avec « Les Grosses Têtes » et Ruquier. En réalité, on nous reproche de résister à la banalisation des émissions de France Inter. Cela a été une année de harcèlement. On m’a même reproché de ne pas mettre assez d' »ardissonneries » dans l’émission. Il n’y aura bientôt plus que du divertissement et des conversations de café du commerce. Tel est le sarkozysme culturel, avec une culture très réduite sur le service public. » Et l’on ne voit pas la tendance s’inverser.
Pétition à signer sur http://arret-sur-images.heraut.eu/
[^2]: Ont été également supprimés « Madame, Monsieur, Bonsoir », « États généraux », « L’Atelier de la mode », « Mondes et merveilles » et « Ubik, la mensuelle ».