Facultés altérées
Préparé dans l’urgence, le projet de loi d’autonomie des universités sera présenté en Conseil des ministres le 4 juillet. En instaurant la mise en concurrence des établissements, il risque de renforcer les inégalités.
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Encore une fois, la méthode coince. Au cours de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a feint la concertation avec les acteurs du monde de l’éducation. François Fillon lui a emboîté le pas dès sa nomination en annonçant que la réforme de l’université serait « la plus importante de la législature » . Depuis la fin mai, les syndicats d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs ont été reçus par Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur. Le 15 juin, une intersyndicale regroupant seize organisations, dont Sauvons la recherche, l’Unef, le Snesup et SUD-Éducation, a lancé un appel à ne pas soumettre la loi début juillet. Mais l’annonce est tombée : le projet de loi sur l’université devait être présenté en Conseil des ministres le 27 juin. Les partenaires sociaux se sont vus remettre un document de travail le 19 juin. Mais ils n’ont eu que trois jours pour réagir : Valérie Pécresse a convoqué le Conseil national de l’enseignement supérieur le 22 juin. Lequel s’est prononcé contre le projet de loi, et contre le calendrier, qui met à mal toute négociation. Les principaux syndicats d’enseignants et d’étudiants ont plusieurs fois dénoncé la volonté de « passage en force » du gouvernement. Finalement, le 25 juin, à l’issue d’une rencontre avec Nicolas Sarkozy, le premier vice-président de la Conférence des présidents d’université, Jean-Pierre Finance, a annoncé que le texte serait « vraisemblablement » examiné en Conseil des ministres le 4 juillet. Mais pourquoi voter cette loi si rapidement ?
Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, chargée de la réforme des universités. GUAY/AFP
Pour Bertrand Monthubert, de Sauvons la recherche, cette précipitation relève de la « faute politique » : « C’est la méthode Sarkozy : faire vite en prétendant que c’est bien. L’université est en grande difficulté. Personne ne défend le statu quo *. Mais on ne résout pas un problème en s’opposant aux principaux acteurs concernés. Il y a beaucoup de choses à réformer, dont le mode de gouvernance. Mais il aurait fallu d’abord redéfinir les missions de l’université. Avec cette loi, le gouvernement met la charrue avant les boeufs. »*
La charrue, c’est le terme « autonomie » qui accompagne l’intitulé de la réforme. Un leurre, presque un attrape-nigaud. « La loi Savary de 1984 a déjà introduit pas mal d’autonomie à l’université, fait remarquer Gérard Aschieri, de la FSU. *. On peut faire mieux, mais là n’était pas la priorité. Le gouvernement met en avant cette idée d’autonomie pour modifier la conception du système universitaire français. Derrière ce projet de loi, se profile l’institutionnalisation de la concurrence entre deux types d’universités : les grandes, qui figureront parmi les meilleures du monde et auront les moyens* de s’offrir des chercheurs et de sélectionner leurs étudiants ; et les autres, pour le tout-venant qui ne visera pas plus haut que la licence. » Soit un système à deux vitesses.
En tête de la réorganisation prévue : la gouvernance des établissements. Le Conseil d’administration est réduit à 20 membres (contre 60), dont seulement 8 enseignants chercheurs et 3 étudiants, qui voient leur présence diminuée. En parallèle, les pouvoirs des présidents d’université sont considérablement accrus. « Le président ne sera plus forcément un enseignant-chercheur, représentant de la communauté éducative, mais un super-patron sur le modèle anglo-saxon , résume Gérard Aschieri, Cela signifie moins de démocratie. » L’autonomie dont il est question dans le document de travail porte sur trois volets : le patrimoine (locaux et mobilier), la globalisation des crédits et les ressources humaines. « Les universités auront l’autonomie qu’elles souhaitent, et non pas l’autonomie qu’on leur accorde , analyse Benjamin Vételé, vice-président de l’Unef *. L’ensemble des dispositifs qui renforcent l’autonomie sont optionnels. Tous les établissements ne pourront pas y accéder. »* Un établissement sera également libre de recruter son personnel enseignant et non-enseignant, et de fixer les rémunérations, ce qui, pour la FSU, revient à dynamiter la Fonction publique. Sous couvert d’autonomie, l’État transfère une partie de ses compétences et se défait, ainsi, de son rôle de régulateur.
« Le texte est assez pernicieux, ajoute Jean Fabbri, du Snesup. Par exemple, la référence aux disciplines disparaît au profit de grands pôles compétitifs. Il n’est pas question d’entrer dans la bataille de l’intelligence et de la connaissance, comme le prétend la ministre, mais d’attenter au paysage intellectuel avec un projet de loi libéral qui entend transformer les universités en entreprises. » Nicolas Sarkozy a confirmé cette direction, le 20 juin, en annonçant que les universités qui prendraient le plus d’autonomie verraient leurs budgets accrus. La concurrence entre établissements n’est plus une dérive, elle devient le socle du système. Socle à partir duquel tout devient possible : la décision de sacrifier un secteur ou une école de pensée (littérature ancienne, recherches fondamentales) au profit d’un autre, susceptible de décrocher des contrats avec le privé, ou de sélectionner les étudiants. La sélection à l’entrée en master est déjà acquise dans le projet de loi. Pour les bacheliers, l’inscription est soumise à une pré-inscription. Et certains se verront dissuadés d’intégrer les filières engorgées. « La France ne compte pas assez d’étudiants : le principe de la sélection est un non-sens » , dénonce Benjamin Vételé. L’université a opéré sa phase de massification. Mais il reste un problème de démocratisation. Ceux qui réussissent le mieux sont les plus favorisés. »
Et quid du sous-financement chronique des universités ? Nicolas Sarkozy s’est engagé à débloquer 5 milliards d’euros sur cinq ans. Mais pour qui et à partir de quand ? Et quelles perspectives pour les étudiants chercheurs ? « La communication est destinée à l’opinion. Notre parole a été méprisée » , proteste Jean Fabbri. « Nous avions obtenu qu’il n’y ait pas de financements différents entre les universités qui prendraient le nouveau statut et les autres , rappelle Bruno Julliard, président de l’Unef. Or, Nicolas Sarkozy dit le contraire, avec la mise en place d’une organisation inégalitaire entérinée par l’État. » L’affrontement n’est plus à exclure. Chaque organisation avait pourtant des pages de propositions à soumettre. Encore fallait-il prendre le temps de les entendre.