« Il faudra permettre un contrôle citoyen et des contre-pouvoirs »

Que deviennent les choix énergétiques dans le cadre de l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz ? La réponse d’Anne Debrégeas, de SUD-Énergie, et de Maurice Marion, de l’énergie CGT.

Thierry Brun  • 28 juin 2007 abonné·es

La mise en concurrence de fournisseurs privés et publics pose-t-elle le problème des choix énergétiques ?

Anne Debrégeas : Contrairement à une idée parfois véhiculée, la mise en concurrence ne favorise pas le développement des énergies renouvelables. Les faibles progrès que l’on note dans ce domaine sont liés à une prise de conscience de la raréfaction des ressources ainsi que des enjeux environnementaux, qui a entraîné des décisions politiques. Nous souhaiterions que la France, avec l’Europe, s’engage dans un processus bien plus ambitieux de maîtrise de la consommation et de développement des énergies renouvelables, qui n’ont rien à voir avec des mécanismes de marché.

En revanche, l’ouverture des marchés a un « effet collatéral » très important : elle prive la puissance publique de moyens efficaces pour mettre en place une politique énergétique ambitieuse, en remettant aux mains d’oligopoles privés les choix énergétiques du pays. Il ne lui reste plus, pour agir, que des outils de « régulation du marché », tels les permis d’émission de CO2, très difficiles à maîtriser… et très faciles à contourner ou à détourner pour les opérateurs.

Maurice Marion : Depuis 2000 et le début de l’ouverture à la concurrence, les choix de long terme sont handicapés par le manque de visibilité des opérateurs. De plus, les obligations d’achat imposées à EDF pour la cogénération et l’éolien ont modifié à la marge le mix énergétique, mais sans remettre en cause la prééminence du nucléaire. Objectivement, l’ouverture à la concurrence poussait à la production d’électricité à partir du gaz. La donne s’est quelque peu modifiée avec le renchérissement du pétrole et du gaz, qui replace le nucléaire à un très bon niveau de compétitivité. La programmation pluriannuelle des investissements qui existe en France depuis la loi de 2000 et la bataille de la CGT ont permis l’engagement d’une centrale EPR tout en maintenant une diversification du mix énergétique (renouvelables, développement limité du gaz… etc.).

La politique énergétique actuelle du service public, en faveur du nucléaire, est-elle compatible avec le développement des énergies renouvelables ?

Maurice Marion : Il n’y a pas concurrence entre ces deux sources d’énergie. Le nucléaire correspond à une production de base très compétitive. Les énergies renouvelables hors hydroélectricité, éolienne notamment, correspondent à une production intermittente (30 % sur une année), et leur développement est forcément limité par leur coût de production élevé (elles ne sont viables que par un dispositif d’obligation d’achat pesant sur les usagers) et le fait qu’elles doivent être associées à une production thermique de secours (quand le vent s’arrête, la consommation, elle, ne s’arrête pas). Le nucléaire est « en concurrence » non pas avec les énergies renouvelables mais avec le gaz et le charbon, à l’échelle de la planète. Les énergies renouvelables ont une place à prendre dans le mix énergétique à coté de ces énergies de base, mais leur développement dépend d’abord d’un effort considérable de la recherche sur les énergies nouvelles renouvelables.

Anne Debrégeas : Il faut distinguer le service public de la politique énergétique défendue par l’actuel gouvernement et par les anciens monopoles publics (EDF et GDF). Le service public de l’énergie, au sens où nous l’entendons, doit se donner pour objectif une garantie d’accès à l’énergie pour tous dans les meilleures conditions, mais également une politique de développement de la production énergétique au service de tous, minimisant l’impact environnemental sur le long terme, assurant une maîtrise des risques, et permettant un contrôle citoyen. En ce sens, le service public est bien évidemment compatible avec le développement des énergies renouvelables. Ce devrait même être une de ses priorités, tout comme la maîtrise de la consommation. Il faut d’ailleurs reconnaître que les anciens monopoles ont été défaillants sur cette question. C’est pourquoi nous ne demandons pas un retour à la situation d’avant la libéralisation : il faudra permettre un contrôle citoyen et garantir des contre-pouvoirs. Mais le marché n’est en aucun cas la bonne solution, ni pour le développement des énergies renouvelables, ni pour les autres missions du service public.

La déréglementation totale condamne-t-elle les consommateurs désireux de se fournir en énergies vertes à quitter les tarifs réglementés ?

Maurice Marion : Si l’on prend les offres d’énergies vertes au pied de la lettre, on pourrait aboutir en effet à faire sortir du tarif réglementé ceux qui opteraient pour elles. Cela pose le problème plus général de ces offres vertes. Tous les opérateurs ont à développer des sources d’énergies renouvelables. Le parc hydroélectrique d’EDF ou de Suez permet à ces groupes de disposer d’une part d’énergie « verte ». La question posée est de savoir s’il est pertinent de faire de telles offres quand, en réalité, les sources de production de l’opérateur concerné sont très diversifiées. N’y a-t-il pas là une forme de tromperie ?

Ce n’est pas le consommateur qui doit aujourd’hui surpayer l’électricité pour développer les énergies renouvelables, mais le pays qui doit s’organiser pour favoriser le développement de ces énergies à moyen et long terme.

Anne Debrégeas : Il est légitime que des citoyens soient sensibles aux offres d’énergie verte de certains opérateurs ­ par ailleurs plus ou moins honnêtes. Mais il est peu probable qu’elles contribuent au développement de cette énergie. En effet, les producteurs d’énergie verte voient leurs débouchés garantis par l’existence d’un « tarif d’achat », qui impose à EDF de racheter toute leur production à un tarif très attractif, sur une période de quinze ans au minimum. Les services d’un « fournisseur » intermédiaire, pour garantir l’achat d’énergie aux producteurs, paraissent donc inutiles. Et un tel choix oblige les usagers à sortir du tarif réglementé, donc à s’exposer aux risques d’envolée des prix.

Seules des décisions politiques permettraient un réel essor des énergies renouvelables et une diminution sensible de la consommation. Mais, à titre individuel, des gestes sont toujours possibles, indépendamment de l’achat d’énergies vertes : financement de travaux d’isolation, équipement de panneaux solaires, etc.

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