La ville aux deux LCR
En représailles contre une fédération qui a soutenu José Bové, la direction de la Ligue a parachuté à Clermont-Ferrand une candidate contre son dirigeant régional.
dans l’hebdo N° 955 Acheter ce numéro
Le cas de figure est assez rare pour être noté. Parmi quatorze candidats, les électeurs de la 1re circonscription du Puy-de-Dôme ont le choix entre deux LCR. Celle de Clermont-Ferrand, représentée par Alain Laffont, 60 ans, médecin et conseiller municipal bien connu des clermontois, et celle de Montreuil, où la Ligue a son siège national, qui a dépêché dans la cité ouvrière de Michelin une enseignante de Seine-Saint-Denis de 32 ans, Julia Gilger. Si l’on cherchait une preuve que le parti d’Olivier Besancenot joue désormais dans la cour des grands, ce duel fratricide en est un indice. Il est aussi le symptôme visible des traces laissées au sein de l’organisation trotskiste par le débat sur la candidature unitaire de la gauche antilibérale.
Car non satisfaite d’avoir défendu une stratégie unitaire opposée à l’orientation de la direction nationale de la LCR, l’an dernier, en s’impliquant dans l’animation du Collecif unitaire antilibéral local, la fédération du Puy-de-Dôme de la Ligue s’est entêtée : avec Alain Laffont, elle a activement fait campagne pour José Bové. Elle a ensuite défendu le principe de la présentation de deux candidatures unitaires antilibérales dans les six circonscriptions du département, l’une conduite par Alain Laffont, l’autre par Jean-Michel Duclos, un Alterekolo, dans la 3e circonscription. Refus tout net de la direction de la LCR, qui a parachuté aussi sec ses candidats. Julia Gilger, mais aussi Michel Bidaux : l’attaché de presse du parti, enseignant à la retraite, se retrouve candidat face à Jean-Michel Duclos. Un troisième « Francilien », Pierre Pic, postier de Seine-Saint-Denis, a atterri dans la circonscription de Thiers-Ambert, gagnée par le communiste André Chassaigne en 2002.
Mardi soir, il y avait donc deux meetings à Clermont-Ferrand : l’un avec Alain Krivine pour la LCR canal officiel, l’autre avec Fernanda Marrucchelli, une ex-porte-parole de la campagne Bové, membre du conseil national du PCF, et le syndicaliste Claude Debons, en soutien à Jean-Michel Duclos et à Alain Laffont, qui se présente sur tous ces documents électoraux comme « président du groupe LCR 100 % à gauche » au conseil municipal de Clermont-Ferrand. « Une vraie provocation » , s’insurge Alain Krivine, qui rappelle que le bouillant médecin s’était aussi glissé parmi les auditeurs de France Inter pour interpeller par téléphone Olivier Besancenot, un jour où le candidat à la présidentielle était l’invité de la radio. Il n’est « pas acceptable que des gens qui ont fait campagne contre leur organisation se présentent au nom de la LCR » , justifie le leader historique de la Ligue. « Je ne connais pas un seul parti politique qui peut accepter ça » , insiste-il.</>
Cette intransigeance fait grincer des dents. « Je suis consterné des méthodes qui sont utilisées contre Alain et la fédération du Puy-de-Dôme. Je n’ai jamais vu ça en trente ans » , se scandalise Bernard Clémençon. Lui qui a été, en 1969, l’un de ceux qui ont fondé dans la capitale auvergnate les Cercles rouges, à l’origine de la Ligue, s’amuse de voir la LCR « se sentir des ailes électorales » après « deux présidentielles à 4 % » . « La Ligue a toujours fait des scores misérables, tout simplement parce qu’elle n’a jamais eu réellement de politique électorale , rappelle-t-il. Sauf à Clermont-Ferrand où, suite à l’action des camarades de la fédération du Puy-de-Dôme et plus particulièrement d’Alain Laffont, une politique électorale cohérente depuis un certain nombre d’années donne des résultats électoraux importants. »
Ici, aux municipales en 2001, la liste LCR a fait 8,6 %, faisant de cette ville « la seule […] où la Ligue dispose d’un groupe dans une municipalité » . Trois élus qui, malgré une fusion de liste entre les deux tours avec le maire socialiste Serge Godard, ont préservé leur indépendance. Aux législatives de 2002, Alain Laffont a réalisé l’un des meilleurs scores de la LCR (4,8 %). Si Alain Krivine admet que ce dernier « a fait un bon boulot sur l’incinérateur » , il invoque le « respect des électeurs » . Selon lui, Clermont-Ferrand a été « la seule ville de France qui n’a pas fait campagne pour Olivier Besancenot » , qui y a néanmoins obtenu 5,11 %, suscitant 12 adhésions sur les bases de sa campagne. À côté, José Bové, en qui Krivine voyait « le Kouchner de la gauche radicale » maintenant ce serait plutôt « le Jospin de l’extrême gauche » , corrige-t-il, ironisant sur sa « disparition » dans cette campagne , a dû se contenter de 1,83 %. « On ne peut pas présenter un candidat bovétiste » , tranche le vieux porte-drapeau de la LCR. Qui ajoute, définitif : « On ne fait pas d’accord avec les comités Bové. »
Au-delà des aspects locaux de ce conflit, ce « cavalier seul » a fait sortir Bernard Clémençon (ci-contre) de sa retraite militante. Pour lui, en se tenant à l’écart des « processus de recomposition qui peuvent exister dans la gauche » , la LCR « tourne le dos à sa propre histoire » . Au cours des trente dernières années, rappelle-t-il, « chaque fois qu’il y a eu des opportunités de faire bouger les lignes au sein de la gauche, la Ligue a toujours eu une intervention ouverte et active dans les processus ». Ce fut le cas dans les années 1970 quand, après l’entrée de Rocard et d’une partie du PSU au PS, la LCR proposait la fusion au PSU maintenu. Et encore à la fin des années 1980 avec la campagne Juquin, qui marquait un tournant important dans la crise du PCF. « La Ligue s’est mise complètement au service de Juquin, sans état d’âme » , témoigne Bernard Clémençon.
« Pendant des années , poursuit-il, la Ligue a été attentive au moindre soubresaut d’une modeste cellule du PCF. Là, on a vu 10 000 militants communistes voter contre leur direction et la LCR tourner le dos à un phénomène aussi important. C’est invraisemblable. » Pour lui, ce solo face aux collectifs unitaires antilibéraux est moins le signe d’un « repli identitaire » de l’organisation trotskiste que le symptôme d’ « une rupture d’identité » . Les autres sections de la IVe internationale en Europe sont, elles, « totalement engagées dans les processus de recomposition, quelles qu’en soient les formes » .
Depuis son alliance avec Lutte ouvrière (LO) aux régionales et européennes de 2004, la LCR suit au contraire une « évolution « LOïsante » » , accuse Bernard Clémençon, Olivier Besancenot se contentant de « retrouver le score résiduel de l’extrême gauche » . Il note que l’appel à « voter le plus à gauche possible » qui figure sur les professions de foi de ses candidats officiels était un slogan de LO. Il y a quelques années.