Paysage après la bataille

Toutes les composantes de la gauche ont aujourd’hui à se refonder. Mais la façon dont le PS se redéfinira, compte tenu du poids spécifique de ce parti, influera sur l’ensemble de cet espace politique.

Patrick Piro  et  Michel Soudais  • 21 juin 2007 abonné·es
Paysage après la bataille

Et maintenant, au travail ! Ce mot d’ordre devrait être assez vite celui de toute la gauche, tant celle-ci sort chamboulée de la séquence électorale 2007. Battue à la présidentielle après un premier tour où le total des candidats se réclamant des courants de gauche ou écologistes n’avait jamais été aussi bas. Donnée pour submergée à l’issue du premier tour des élections législatives, un sursaut inespéré de l’électorat lui assure une représentation de 233 députés. Bien plus qu’elle n’en avait lors des précédentes vagues bleues de 1993 et 2002.

Illustration - Paysage après la bataille

Christian Olivier

Dimanche, c’est sans doute place du Colonel-Fabien que le soulagement était le plus palpable. Présumé mort, le PCF obtient 15 députés. Un « très beau résultat » , résume sa secrétaire nationale, Marie-George Buffet, satisfaite. Après la débâcle de la présidentielle. Elle préserve la majorité de ses bastions et probablement son groupe parlementaire avec la réélection de deux apparentés, Jean-Pierre Brard à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et le républicain Jacques Dessalangre dans l’Aisne, et celle de Maxime Gremetz, qui se représentait sans l’investiture du PCF. Ce résultat démontre « l’importante capacité de résistance du PCF dans ses bastions » , note Vincent Tiberj, du Cevipof. Le parti est sauvé par son ancrage local : « Le communisme existe non plus nationalement, mais localement » et le doit « au communisme municipal » et « aux travaux faits par les communistes au niveau local » , relève ce chercheur.

Le plaisir était aussi chez les Verts, où la secrétaire nationale, Cécile Duflot, exultait : « 100 % de nos candidats au second tour ont été élus, on est le seul parti dans cette situation. » Si la victoire de Noël Mamère (Gironde, 3e) ne faisait guère de doute, c’est très largement qu’il l’emporte, avec 62,82 % des voix. A priori plus incertaine, la réélection d’Yves Cochet (Paris, 11e) et de Martine Billard (Paris, 1re) est également confortable : ils sont élus avec respectivement 57,17 % et 54,25 % des voix. Hypothétique au soir du 10 juin, l’élection du quatrième député Vert, François de Rugy (Loire-Atlantique, 1re), jeune maire-adjoint de Nantes chargé des transports, est également confortable : il obtient 52,03 %. C’est toutefois le seul véritable gain dont peuvent se prévaloir les Verts, fortement ballottés depuis l’élection présidentielle. Pas de quoi s’épargner une remise en question.

La satisfaction était plus bruyante rue de Solferino. Au siège du parti socialiste, la défaite avait même, pour les militants présents, un goût de victoire quand les premières estimations des chaînes de télévision ont été accueillies par des acclamations. Et à son arrivée, quelques minutes après 20 heures, le premier secrétaire, François Hollande, très souriant, a été vivement applaudi. Avec un groupe parlementaire de 205 députés socialistes et apparentés, le PS sauve ses ténors, à l’exception de Vincent Peillon, à nouveau battu dans la Somme, et fait entrer au Palais Bourbon une cinquantaine de nouveaux élus, dont un grand nombre de femmes. Mais ce rebond, que n’avait prévu aucun institut de sondages, s’il atténue l’impact de la défaite pour les partis de l’ex-gauche plurielle, ne l’efface pas. Celle-ci n’épargne d’ailleurs aucune famille de la gauche. Toutes sont confrontées à l’obligation de repenser leur doctrine, leur programme, leur stratégie et leur mode de fonctionnement.

Si toutes les formations se trouvent face à la même problématique, la manière dont le PS réglera la question de sa refondation sera déterminante, compte tenu de son poids au sein de la gauche. Dans une récente tribune publiée dans le Monde (8 juin), Philippe Marlière, maître de conférences en science politique à Londres et lui-même engagé à la gauche du PS, évoquait « quatre scénarios » possibles entre lesquels les militants socialistes seront, d’une manière ou d’une autre, conduits à choisir.

Un scénario italien où, à l’instar du rapprochement entre les démocrates de gauche et le pôle de la Marguerite (dominé par les démocrates-chrétiens), qui s’apprêtent à fonder un nouveau parti, « il s’agirait de bâtir une force centriste dont le PS serait le pivot » englobant les radicaux de gauche, les libéraux-libertaires Verts et le tout nouveau MoDem de François Bayrou. Tout indique que ce schéma est privilégié par Ségolène Royal, qui, à plusieurs reprises, a revendiqué un « PS ouvert, sans frontières » . Et quand elle définit, comme dimanche soir, les « nouvelles frontières de la gauche » , l’ex-candidate du PS à la présidentielle mentionne « le défi du travail pour tous » , la « lutte contre le réchauffement climatique » , l’ « invention de nouvelles relations Nord-Sud » et « la diminution de la dette », un thème cher aux bayrouistes qu’elle lie « avec la rénovation des services publics » . Ce scénario n’est pas sans écho chez les Verts, où Daniel Cohn-Bendit s’est prononcé à plusieurs reprises pour une vaste alliance écolo qui irait de la gauche au MoDem. Cet électron libre est d’ailleurs à l’initiative du premier brain-storming post-électoral pour une remise à plat complète des Verts : il invite tout le monde à débattre, le 30 juin à Tours, autour du « Manifeste pour la refondation de l’écologie politique », dont il est l’un des auteurs avec l’eurodéputée Marie-Hélène Aubert (voir entretien page 6).

Le scénario britannique est plus privilégié par Dominique Strauss-Kahn. « L’accent est mis, ici, sur une refondation interne du PS qui s’inspire de la démarche blairiste au sein du Parti travailliste » , écrit Philippe Marlière : offensive idéologique pour amener le PS à renoncer à la défense d’un secteur nationalisé de l’économie et à l’exigence de redistribution de richesses, conversion à une Europe sans muscle politique et alignement atlantiste. Mais cette ligne ne pourrait l’emporter qu’en cas de ralliements massifs des « déçus du royalisme » , faute de soutiens dans les autres formations de gauche. Mieux, elle pourrait bien galvaniser une gauche radicale en compétition avec « un PS qui n’aurait plus de socialiste que le nom » .

Le scénario allemand, ouvert avec la création outre-Rhin du Linkspartei, serait favorisé par le succès de l’un ou l’autre des deux précédents scénarios et la scission que ce virage à droite ne manquerait pas de provoquer au sein du PS. Envisagée par quelques-uns au lendemain du 29 mai 2005 et la victoire du « non » au référendum sur le traité constitutionnel, la création d’une nouvelle formation clairement antilibérale à la gauche du PS, dont la présentation de candidatures unitaires aux élections présidentielle et législatives aurait pu constituer une étape, a buté sur le double refus de la LCR et du PCF, et le refus de plusieurs autres courants de la gauche radicale de s’engager réellement dans une convergence autre qu’électorale. La division des antilibéraux qui en résulte ne permet pas de l’imaginer à court terme. Elle n’est pas à l’ordre du jour de la réunion des collectifs antilibéraux, convoquée les 23 et 24 juin en région parisienne par la coordination nationale des collectifs, qui devrait déboucher sur un appel à la tenue d’Assises pour une gauche alternative et unitaire, dont la finalité assez modeste vise à regrouper « ceux qui veulent l’unité » , afin d’affirmer leur existence face au PCF et à la LCR.

Il ne se trouve guère que le Mars-Gauche républicaine, qui a pris ses distances avec le mouvement des collectifs au cours de la campagne, et Jean-Luc Mélenchon pour envisager encore cette perspective. « Si le Parti socialiste s’engageait dans les mois à venir à entériner davantage la ligne politique « blairiste », qui s’est révélée avec une force inédite lors de cette présidentielle , déclare la petite formation d’Éric Coquerel dans un communiqué, il faudrait intégrer dans notre réflexion l’exemple venu d’Allemagne ce week-end à l’occasion du congrès du Linksparteï, qui est en passe d’imposer un parti vraiment de gauche dans le paysage politique de nos voisins outre-Rhin. » Le sénateur socialiste de l’Essonne, qui signe ici une tribune (voir p. 7) en ce sens avec deux responsables de PRS (Pour la République sociale), François Delapierre et Raquel Garrido, respectivement membres du bureau national et de la commission nationale des conflits du PS, voit dans la construction d’un nouveau parti « une des issues possibles de la crise de la gauche en France » ( l’Humanité , 14 juin). S’il imagine volontiers un rapprochement entre des communistes et des militants socialistes « qui n’acceptent pas de se résigner à une fumeuse orientation sociale-démocrate, ni à un tropisme pour le centre » , il note aussi, en le regrettant, que « les communistes n’ont pas encore fait ouvertement le choix de la construction d’une force nouvelle » .

Enfin, dernier scénario envisagé par Philippe Marlière, le scénario socialiste serait celui qui verrait le PS rompre « avec… les politiques mises en oeuvre par les partisans des scénarios italien et britannique » . « Il s’agirait d’abandonner le prêt-à-penser social-libéral. Instruit des erreurs du passé et s’inspirant de la démarche des assises du socialisme organisées en 1974 par François Mitterrand, ce PS aurait à coeur de maintenir le dialogue avec les diverses composantes de la gauche » . Ce n’est pas le plus probable, même si les thèses de la droitisation de la société française et de l’affaiblissement du clivage droite-gauche sur lesquelles s’appuient « royalistes » et « strauss-kahniens » pour justifier leurs prises de distance avec la doctrine socialiste ont été quelque peu mises à mal avec le scrutin de dimanche. Plusieurs responsables socialistes n’ont pas manqué de souligner combien la dénonciation du projet d’instauration d’une TVA pseudo-sociale, thème lancé par Laurent Fabius au soir du premier tour, avait permis de limiter l’ampleur de victoire de la droite inscrite dans le résultat du premier tour. Selon Claude Bartolone, bras droit de Laurent Fabius, une trentaine de candidats PS peuvent « envoyer des fleurs à Fabius. Il les a sauvés ! » « Quand on est sur le terrain social, quand on joue collectif, la gauche est capable de se redresser » , note Marie-Noëlle Lienemann, pour qui le PS doit désormais s’interroger sur le « décalage » entre la défaite présidentielle et le score de dimanche. Partageant lui aussi cette critique à peine voilée adressée à Ségolène Royal, Benoît Hamon, l’un des tenants du Nouveau Parti socialiste, déclare : « On peut dire merci à Fabius d’avoir levé le lièvre de la TVA sociale, merci à Hollande d’avoir mis le parti en ordre de bataille sur ce thème, et on se souviendra longtemps de ceux qui parlaient d’autre chose. »

L’analyse du résultat du scrutin sera évidemment l’un des enjeux du conseil national que le PS tient, ce samedi. De celle-ci dépend largement l’orientation qui sera donnée à la « rénovation » que tous souhaitent. À la lecture « fabiusienne » du facteur prépondérant du retour à des thématiques sociales, les partisans de Ségolène Royal seront tentés d’opposer l’implication dans la campagne de leur égérie. Ou le poids des électeurs du MoDem dans les voix qui se sont portés sur les candidats socialistes. Sur TF 1, Élisabeth Guigou, proche de DSK, a ainsi « remercié les électeurs de gauche de s’être mobilisés et beaucoup d’autres (sic) d’avoir voulu un équilibre à l’Assemblée nationale » .

Quoi qu’il en soit, le sursaut électoral aura au moins éloigné le spectre d’une crise violente au sein du PS. « Le climat va être décrispé » , pronostique Jean-Christophe Cambadélis, alors qu’avec un résultat catastrophique le conseil national « aurait frisé l’émeute » . Signe de cette détente, seul le député Gaëtan Gorce, l’un des chefs de file de la rénovation au PS, réclame encore un « changement de direction » à la tête du parti et le départ de François Hollande. Selon lui, « la logique politique comme le simple bon sens exigent qu’après ce second échec en cinq ans notre Premier secrétaire se retire et que s’ouvre une nouvelle phase » . Dimanche soir, sa voix apparaissait cependant isolée. Très en pointe depuis le 6 mai pour impulser de profonds changements internes, le député Manuel Valls a seulement rappelé l’ « immense exigence de renouvellement » imposée par le résultat.

Admise par tous, la nécessité d’une rénovation est plus aiguë pour les partisans de Dominique Strauss-Kahn et ceux de Ségolène Royal. « Si le PS n’est pas rénové très largement, présentant une nouvelle image ayant une capacité à répondre concrètement aux problèmes des Français, ayant reconstitué ses fondamentaux, nous serons battus aux élections municipales et nous serons devancés par le MoDem [ou] par telle ou telle liste alternative ou autre » , avertit Jean-Christophe Cambadélis. Plus sévère encore, Christian Paul, député de la Nièvre, estime que le « PS anesthésié n’attire plus les Français » et que « la question de sa survie est posée » . Alors que « les Français, ils nous l’ont dit dans ce second tour, nous donnent encore une chance » , le Parti socialiste « doit enfin se mettre au travail » , déclare cet ami politique d’Arnaud Montebourg, qui fustige « la rue de Solferino » , devenue à ses yeux « la rue des boutiques obscures, où clans et tribus s’affrontent et se neutralisent sans d’autres enjeux que le pouvoir des uns au prix de l’éradication des autres » . Selon lui, « le parti du mouvement, riche de multiples talents et d’énergies en grand nombre, est devenu une machine à broyer les idées neuves » . « Le PS a fait le plein de leaders, mais pour le leadership des idées, il a fait le vide » , conclut-il.

« Il va falloir tourner la page d’un certain passé, rien ne sera plus jamais comme avant au Parti socialiste après cet échec » , estime Arnaud Montebourg, que sa réélection à l’arraché a remis en appétit : après « le temps des éléphants, désormais révolu, et dont la page se tourne définitivement » , le député de Saône-et-Loire sent venir « le temps enthousiasmant des jeunes lions » , parmi lesquels il se compte. La rénovation est pour certains essentiellement une question générationnelle.

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