Pour accroître les injustices…
dans l’hebdo N° 957 Acheter ce numéro
Les mesures néoconservatrices de la France d’après l’élection présidentielle vont accroître les injustices fiscales. La quasi-suppression des droits de succession est contraire au principe libéral d’égalité des chances, affirmerait un authentique self-made-man comme Bill Gates, qui s’est récemment élevé contre un projet de ce type dans l’Amérique de George Bush. Le bouclier fiscal à 50 % supprimera de fait l’impôt sur la fortune (ISF). La déductibilité des intérêts d’emprunts pour la résidence principale est une aubaine pour les ménages aisés déjà détenteurs de logements. Elle ne favorisera en rien l’accès à la propriété de la moitié des foyers qui n’est pas imposable et entretiendra de surcroît la flambée des prix de l’immobilier. La hausse de la TVA (trompeusement baptisée TVA « sociale »), envisagée pour réduire à nouveau les cotisations sociales, ainsi que la franchise médicale auront pour effet de reporter sur les ménages une part croissante du financement de la Sécurité sociale. Enfin, la défiscalisation des heures supplémentaires sous-entend que ceux qui ne veulent pas « travailler plus » sont les seuls responsables de la stagnation de leur pouvoir d’achat, à laquelle l’exploitation capitaliste serait absolument étrangère… Cette politique fiscale n’est pas seulement une politique de classe. Elle s’avère à contre-emploi pour un gouvernement qui entend relancer la croissance et réduire la dette.
Avant même le débat sur la première loi de finances élaborée sous sa responsabilité, le nouveau ministre du Budget a déjà annoncé une pause dans la réduction des déficits publics ! Les réformes envisagées risquent, en effet, d’accélérer l’érosion des ressources fiscales sans produire d’effet positif sur la croissance. Le coût cumulé de la baisse de la progressivité du seul impôt sur le revenu peut être chiffré à 30 milliards d’euros de 2002 à 2007. Les allégements envisagés pour 2008 s’élèveront à 15 milliards d’euros. La baisse du taux marginal des tranches supérieures depuis 2000, puis la réduction de 7 à 5 du nombre de tranches, le bouclier fiscal à 60 % et la précédente baisse des droits de succession, instaurés par le gouvernement Villepin, ont déjà pour effet de réduire la redistributivité du système pris dans son ensemble, engendrant ainsi des incidences macroéconomiques perverses observables à l’oeil nu. Les réformes envisagées risquent d’accélérer cette tendance.
Les allégements fiscaux bénéficiant aux hauts revenus soutiennent, certes, la consommation des ménages aisés. Ils gonflent aussi, à travers la forte épargne des rentiers sur les marchés, une bulle boursière qui se forme dès lors que, comme on le constate, l’augmentation du cours des actions ne s’accompagne pas d’investissements dans l’économie réelle. Son éclatement ne manquerait pas de produire des effets récessifs. La hausse des hauts revenus nourrit également une spéculation immobilière. Celle-ci renforce le pouvoir des propriétaires face à la masse des locataires, dans l’impossibilité d’accéder à la propriété et condamnée à leur verser une rente de plus en plus élevée. Enfin, la hausse de 3 à 5 points de la TVA, prévue pour réduire à nouveau les cotisations patronales, touchera au premier chef les ménages à faible revenu. Ces derniers consacrent déjà plus de 8 % de leurs revenus au paiement de la TVA, alors que les 10 % des ménages les plus aisés, bénéficiaires des nouvelles baisses d’impôt, n’y consacrent que 3 % de leurs revenus. La consommation populaire s’en trouvera atteinte, car il est peu probable que la baisse des cotisations patronales se traduise par une réduction de l’inflation. Les baisses de « charges », qui se sont déployées depuis quinze ans, n’ont pas enrayé la « vie chère » et n’ont pas engendré plus de 200 000 créations d’emplois. La dernière hausse de deux points de la TVA, opérée par Alain Juppé en 1995, fut par ailleurs intégralement répercutée sur les prix.
Désormais, le seul moteur de la croissance est la consommation de 10 % des ménages, les ménages les plus aisés. Cela s’avère insuffisant pour que l’économie retrouve le plein-emploi, à l’heure où l’investissement et les exportations sont en berne pour cause d’absence d’innovations de la part d’entreprises pourtant excessivement profitables. Il en résulte un déficit de recettes fiscales par rapport à celles qui sont anticipées dans le cadre de chaque préparation de budget. La mauvaise dette prolifère, celle qui finance d’inutiles cadeaux fiscaux. Ces derniers, loin de peser sur les générations futures, profitent déjà aux créanciers de l’État… L’économie de rentiers qui se constitue est donc plus que jamais tributaire de la consommation et de la spéculation des classes aisées, pour le meilleur, comme pour le pire. Quant aux serviteurs de la chose publique, ils seront montrés du doigt lors des prochains exercices budgétaires. La « Réforme de l’État » réduira de moitié les effectifs des services publics, où le droit de grève sera prochainement limité…
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.