Un marché sauvage
Une convention internationale vient de soulever le problème du trafic des espèces sauvages, qui menace la biodiversité. Des réglementations existent pourtant, mais la répression est insuffisante.
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Le commerce des espèces sauvages se présente désormais comme le plus subtil des pillages du tiers monde. C’est ce qu’a montré la dernière réunion de la Convention de Washington sur le commerce international des espèces menacées (Cites) qui vient de s’achever à La Haye. Pendant deux semaines, se sont affrontés ceux qui veulent exploiter la biodiversité de la planète et ceux qui souhaitent la préserver : les marchands et les écologistes.
L’enjeu est de taille puisque le commerce légal ou illégal des espèces sauvages a généré, l’année dernière, un chiffre d’affaires d’environ 20 milliards d’euros (à comparer avec le budget annuel de la Convention : 4 millions d’euros), un peu moins que le trafic de drogues, à la différence que les peines légères encourues par les trafiquants de perroquets, d’ivoire, de cactus, d’orchidées ou de fourrures ne sont pas dissuasives. Les douaniers français le savent bien, qui reprennent mois après mois les mêmes « passeurs » de reptiles, de coraux ou de plantes séchées. Les fonctionnaires ont dû s’initier, avec l’aide d’associations de protection de la nature comme la Ligue pour la protection des oiseaux, à la reconnaissance des espèces les plus diverses ; la brigade parisienne possède même un spécialiste des cactus. Le trafic, empruntant d’ailleurs les mêmes circuits mafieux que la drogue, est d’une telle ampleur qu’Interpol a créé une section spécialisée.
Les efforts de la Cites, organisation des Nations unies regroupant depuis 1975 des ONG et des représentants de 171 pays, se heurtent plus que jamais aux appétits des trafiquants, aux égoïsmes des États et à la mondialisation qui conduit les habitants des pays riches à désirer de plus en plus d’espèces protégées. Tels les Anglais, amateurs d’oiseaux tropicaux, dont 90 % meurent dans les six mois suivant leur achat ; ou les Français, qui s’offrent des mainates ou des merles des Indes qui parlent à plusieurs centaines d’euros alors que l’Indien qui a capturé l’oiseau n’aura reçu que trois ou quatre euros. Le trafic des cactus mexicains protégés peut rapporter des dizaines de milliers d’euros à chaque livraison illégale.
Évidemment, l’importation des espèces est réglementée par les quotas édictés par la Cites. Mais les licences d’importation se copient trop facilement. La souveraineté des pays faisant barrage à l’imposition de réglementations transnationales, la Cites se borne à tenter d’organiser la commercialisation des espèces considérées comme étant en danger. Une première liste interdit toute commercialisation des espèces qui y sont inscrites, une seconde institue des quotas. Ce sont ces listes (ou annexes) qui font, tous les deux ou trois ans, l’objet d’âpres marchandages. Si, depuis des années, l’éléphant figure dans l’Annexe I, nul ne peut empêcher un pays d’autoriser la chasse à l’éléphant, mais l’ivoire, produit de ces chasses, sera saisi par les douanes dans la plupart des pays. Qu’il provienne d’une chasse « légale » ou, le plus souvent, du braconnage.
Il y a une quinzaine de jours, Interpol a attribué son prix 2007 au Cameroun pour avoir permis, par ses renseignements, la saisie à Hong-Kong de 3 900 kg d’ivoire sortis en fraude du pays. Un geste rare et courageux, car l’exploitation des richesses naturelles vivantes pour les vendre en Occident représente souvent, malgré sa modicité, un apport économique important pour des milliers de personnes dans un pays comme le Cameroun. Et les pays riches offrent rarement des compensations aux interdictions.
Cette contradiction explique, par exemple, que la Cites n’ait pas réussi à interdire la commercialisation des coraux que les touristes occidentaux rapportent chaque année. Pas plus qu’elle n’a pu assurer des mesures de protection pour les bois précieux en provenance d’Amérique latine. Échec identique pour les requins, dont beaucoup d’espèces sont menacées parce que des navires usines japonais écument les océans pour les pêcher et leur couper les ailerons avant de les rejeter à la mer : 90 % en meurent. L’aileron se vend jusqu’à 500 euros le kilo dans les pays asiatiques, qui en tirent une soupe hors de prix. Les mêmes pays paient des fortunes, jusqu’à 1 000 euros le kilo, pour les civelles, anguilles surpêchées dans les estuaires européens. Leur protection a été décidée, car ce poisson, qui ne se reproduit que dans la mer des Sargasses après un long voyage, devrait disparaître dans une dizaine d’années.