« Une demande sociale »
Le sociologue Jean-Louis Laville organise des rencontres populaires sur le thème de « l’autre économie », fondée sur la solidarité et riche de nombreuses innovations.
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Vous organisez un cycle de rencontres sur l’autre économie dans le cadre d’une université populaire et citoyenne au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). D’où vous est venue cette idée ?
Jean-Louis Laville* : Le Cnam, fondé en 1794, peut être considéré comme la première université populaire : selon son créateur, l’abbé Grégoire, il s’agissait de rendre le savoir accessible au peuple. Le conservatoire a longtemps eu une position singulière dans le système de formation car les professeurs y assuraient un enseignement libre et gratuit. Lancer aujourd’hui une université populaire et citoyenne au Cnam, c’est s’inscrire dans cette histoire. Aujourd’hui, il s’agit de répondre à une demande sociale de plus en plus importante, qui se manifeste en France comme dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique sur l’autre économie.
Qu’entendez-vous par « l’autre économie » ?
Aujourd’hui, les étudiants mais aussi de nombreux citoyens s’interrogent sur le rapport entre économie et société. L’opportunisme a fait place à des inquiétudes engendrées par la montée des inégalités, les dégâts environnementaux, la remise en cause de la diversité culturelle. Face à ce désir de comprendre pour agir, l’enseignement de l’économie peut être perçu comme « autistique », pour reprendre l’expression des critiques étudiantes. Il faut pluraliser l’étude de l’économie pour favoriser la réflexion. Des pans entiers en sont invisibles. C’est, bien sûr, l’économie informelle : elle permet pourtant la survie de plus de la moitié des habitants de certains pays du Sud qui ne trouvent pas leur place dans le grand marché capitaliste. Par ailleurs, l’économie de marché cohabite avec une économie publique et des prestations effectuées sur le registre de la réciprocité et de l’égalité. Il existe ainsi une « autre économie » fondée sur les solidarités. Cette économie n’est pas, contrairement à la caricature que l’on en fait trop souvent, dépassée. Elle se manifeste par une multitude d’innovations qu’il faut faire connaître.
Considérez-vous l’économie sociale et solidaire comme partie prenante de cette autre économie ?
L’actualité de cette autre économie est réelle. Au niveau international, dans les rencontres préparatoires, par exemple, nous avons reçu Paul Singer, professeur d’économie à l’université de São Paulo et secrétaire d’État à l’économie solidaire dans le gouvernement brésilien, qui a commandé un premier recensement faisant apparaître 1 250 000 travailleurs dans 15 000 entreprises. Au niveau français, l’économie sociale et solidaire est désormais intégrée au schéma économique de développement d’une grande majorité de régions. La chaire dont je suis titulaire a signé un accord de partenariat avec le Réseau des territoires pour l’économie solidaire. Ainsi, le 25 juin, les nouvelles politiques de la Macaronesie au Portugal et des villes de Rome, Montréal, Paris y seront présentées.
Qui avez-vous invité pour animer cette université populaire ?
L’université populaire et citoyenne émane d’un processus : nous avons déjà organisé des conférences. L’objectif était de réunir des acteurs de la société civile, des responsables publics et privés, des étudiants et des enseignants. Outre le Cnam, la Caisse des dépôts (à travers l’Institut pour la recherche et le département « Développement économique et économie sociale ») s’est associée à la démarche pour 2007 et 2008. Les conférences réunissent des intervenants de dix pays d’Europe et d’ailleurs. Sont particulièrement représentés, la première journée, le réseau « Emergence of Social Entreprises in Europe » (EMES), le programme « Local Economic and Employment Development » (LEED) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La deuxième journée bénéficie du concours de l’Institut Karl-Polanyi de Montréal et de la revue du Mauss , qui publie un numéro spécial sur cet auteur. Seront également présents des collègues italiens avec qui nous entretenons une coopération suivie (Universités de Bologne, Milan-Bicocca, Vérone…).