Courrier des lecteurs Politis 960

Politis  • 11 juillet 2007 abonné·es

17 millions de voix, et moi, et moi, et moi

On ne cesse d’entendre, ça et là, que Ségolène Royal a rassemblé sur son nom 17 millions de voix, ce qui lui vaudrait dévotion éternelle ! N’est-ce pas d’ailleurs particulièrement nombriliste de considérer que c’est sur son nom et non pas sur son programme que ces voix ont été rassemblées ? Vaste question…

Mais, et cela en dit long, on tombe immédiatement sous le feu des critiques dès lors qu’une ébauche d’analyse de l’échec du 6 mai (car oui, c’en est un) peu amène envers la candidate est avancée. On est traité de « rancunier », « d’irrespectueux », voire « d’éléphant » (nouvelle insulte à la mode chez les illuminés de la « modernité » à gauche), si l’on ose (sacrilège) émettre quelques doutes sur la forme et le fond de la campagne menée par la candidate de façon, il faut bien le reconnaître, assez solitaire. Et ce fut là son choix !

Alors, maintenant, ça suffit ! Il est l’heure de dire les choses : oui, Ségolène Royal aura été la candidate de la gauche qui a réussi à rassembler sur son nom le plus de voix… d’électeurs par défaut ! Combien de socialistes « nonistes », qui, après avoir soutenu un autre candidat lors de la campagne interne, ont, de façon loyale (pour ne pas dire royale), participé à la campagne ? Combien de camarades Verts, communistes et même trotskistes ont souhaité « voter utile » (c’est-à-dire ne pas faire le choix du cœur) dès le 22 avril ? Il serait honnête de répondre à ces questions ! De plus, beaucoup de ceux-là se sentent aujourd’hui floués lorsque l’ex-candidate s’approprie ces (ses !) voix, surtout après avoir dit qu’elle ne croyait ni au Smic à 1 500 euros ni aux 35 heures ! Et ce sont les « royalistes » qui vont ensuite parler « d’irrespect » ! On croit rêver… Alors qu’on arrête de nous rebattre les oreilles avec « ses » 17 millions d’électeurs !

Et puisque seuls les chiffres sont dénués de subjectivité, alors parlons chiffres ! Intéressons-nous aux seconds tours : en 2007, Ségolène Royal rassemble précisément 16 790 440 voix (c’est-à-dire un peu moins de 16 800 000), soit moins de 47 %. Mais il y avait plus de 37 millions de votants. […] En 1995, c’est moins de 32 millions de votants qui se sont exprimés, pourtant Jospin a obtenu 47,3 % avec 14 181 000 voix. […]
Ainsi, entre 1995 et 2007, il y a eu, au second tour, une augmentation de 6 millions de votants, […] avec une augmentation d’environ 2,5 millions de voix sur la candidate de gauche. Voilà de quoi relativiser la « grande victoire » de Ségolène […].

Les conditions étaient pourtant réunies en 2007 pour gagner (victoires aux régionales, cantonales, européennes précédentes ; victoire du « non » au référendum ; démantèlement du projet nocif du CPE, campagne axée sur les problèmes économiques et sociaux…), et la gauche a perdu.
Oui, cette défaite est d’autant plus cinglante que la victoire était attendue, possible et même nécessaire pour le peuple de gauche. Qui n’a peut-être pas apprécié de voir, le 6 mai au soir, une Ségolène Royal triomphante, attachant visiblement plus d’importance à son rendez-vous lancé pour 2012 qu’à la souffrance que les plus démunis vont devoir endurer pendant cinq ans. Au moins !

Vincent Bawedin (Somme)

Rectification

Dans l’article « De l’énergie verte à revendre », paru dans le n° 958 de Politis, mon nom est cité à plusieurs reprises. La présentation que vous faites de ce que je défends ne me semble ni fidèle ni objective.
Notamment, sur le fait de savoir comment favoriser le développement de l’électricité verte. J’ai toujours soutenu l’idée que, si l’on constate un début de développement (éolien surtout), c’est encore bien insuffisant. Or l’article dit, entre deux citations qui me sont attribuées : « Et EDF, en quelque sorte, assurerait déjà les missions de développement de l’électricité verte. Conclusion de la chercheuse : quel intérêt dès lors pour un client préoccupé par l’environnement d’opter pour l’offre verte d’un fournisseur privé ? »

Je ne sais pas sur quoi vous vous êtes appuyés pour m’attribuer cette position, qui est à l’opposé de ma conviction (même si votre article ne met pas de guillemets, il sous-entend que c’est ce que je dis).
Je n’ai jamais ni tenu de propos ni écrit quoi que ce soit qui s’approche de votre affirmation. Ma position, en effet, est exactement inverse : EDF n’assure pas sa mission de service public, notamment par rapport aux renouvelables et à la sobriété énergétique. Je dis que le service public de l’énergie doit être défini démocratiquement pour faire face aux enjeux actuels. Mais il doit déjà intégrer l’objectif de développement d’une production à base de renouvelable. L’organisation pertinente à mettre en place doit réunir les acteurs concernés : producteurs, consommateurs, réseau de distribution locale, et il faut faire la place à des partenariats entre l’entreprise publique et des initiatives de coopératives.

Le service public de l’énergie doit aussi intégrer l’engagement pour les économies d’énergie. Engagement qui est contradictoire avec les objectifs d’une entreprise du marché, qui ne peut que viser l’augmentation de son chiffre d’affaires et donc de la consommation d’électricité ! Je ne retrouve rien de ces points dans votre article, je le regrette vraiment. Je vous remercie donc de bien vouloir publier cette rectification.

Par ailleurs, vous me présentez comme « chercheuse à EDF, syndicaliste à SUD-Énergie ». Je ne fais pour ma part jamais état de ma profession, et s’il est exact que je suis syndiquée à SUD-Énergie, c’est en tant que membre du conseil d’administration d’Attac et de son conseil scientifique, et en tant qu’animatrice de la campagne d’Attac contre l’ouverture du marché que j’interviens et que j’ai des responsabilités.
J’aurais avec plaisir discuté ou répondu à vos questions si vous m’aviez sollicitée. J’apprécie beaucoup Politis et la qualité de ses analyses, en général. C’est donc aujourd’hui la raison qui me pousse à rectifier. Je me tiens à votre disposition pour tout complément.

Christiane Marty

Nous vous remercions pour ces précisions. Je maintiens pour ma part l’analyse que j’en dégage et qui m’engage, en particulier à la suite de votre contribution lisible à l’adresse : www.local.attac.org/marchew/spip.php?article171

Patrick Piro

Révolution sémantique

Après les élections que nous venons de vivre, je pense qu’on pourrait commencer par une révolution sémantique, en éliminant de notre vocabulaire des termes chargés d’histoire devenus polysémiques ; ceux qui sont utilisés et retournés par nos adversaires ; les termes anti-ceci ou anti-cela qui ne disent pas grand-chose sur ce que l’on propose (anticapitaliste désigne notre lutte, mais ne définit pas la société à laquelle on aspire ; antilibéralisme n’a pas de limites définies : ça va jusqu’au changement de société ou ça s’arrête en route ?) ; socialisme désigne actuellement une béchamel ; gauche et droite ne désignent même plus le positionnement dans l’hémicycle (ce qui a dû faire perdre les repères à certains, passés à droite en affirmant avoir conservé des valeurs de gauche) […]. La liste est ouverte.

Après ce nettoyage, je propose de définir la société que nous voulons construire avant de parler du parti qui doit nous y conduire, et, pour ce, il faut des idées simples, claires, évidentes, pour éviter la marmelade présente. Comme première idée incontestable, celle que « l’argent ne travaille pas » me semble être une prémisse qui définit bien une rupture avec le système actuel et devrait nous servir de balise […].
Ça, au moins c’est sûr : l’argent ne travaille pas, c’est un moyen d’échange et seulement cela, c’est un intermédiaire qui facilite le vieux troc. La monnaie n’a pas de valeur en soi, c’est l’équivalent valeur d’un produit. C’est une fiction, un récépissé qui certifie l’existence d’un produit échangeable, seul le produit a une réalité vérifiable.

On peut affirmer que tout ce qui est basé sur ce mythe (que l’argent travaille) entraîne inévitablement les trucages dans les échanges, car il est nécessaire de prendre une part au travail pour la donner aux possesseurs d’un capital. (Oui, je sais, Marx l’avait déjà dit, mais j’essaie de le redire avec des mots simples.) C’est un cancer économique dont les exactions prolifèrent dans une opacité recherchée, dans une complexité constamment alimentée par les experts de la communication et du rideau de fumée.

Certes, nous ne naissons pas avec un outil en bout de bras, il faut bien que la collectivité en procure un à celui qui entre dans la vie active, c’est une nécessaire solidarité. Bien sûr, il faut rémunérer celui qui gère ces fonds, mais par l’impôt, solidarité que chacun doit à la collectivité et non comme rémunération d’un prêt.
Penser que l’on peut continuer de s’arranger avec cette mystification en contrôlant ses excès, c’est admettre que les plus exposés continueront fatalement à être volés, c’est aussi laisser en place le système boursier, pompe à finance des nantis et arme redoutable lorsque les fonds de pensions sont utilisés pour spolier à la fois les retraités et les travailleurs des usines achetées avec ces capitaux.

Sans une lutte contre le prétendu travail de l’argent, on se leurre sur l’efficacité du combat ; chaque fois que nous sommes obligés de transiger sur ce principe parce que le rapport de force nous y contraint, il ne faut pas perdre de vue les séquelles, les identifier pour les supprimer le plus vite possible. On peut comprendre que l’anticapitalisme de ces dernières années n’ait pas laissé un souvenir impérissable […]. Que le terme « communiste », lancé sans explications, dresse encore des méfiances n’est pas injustifié.
Inventons une société non capitaliste qui donne envie d’y vivre et luttons pour l’atteindre, c’est plus mobilisateur que de se battre à reculons.

Serge Levasseur (courrier électronique)

Courrier des lecteurs
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