Expulsions : vers moins de transparence ?
Si les actionnaires d’Air France ont rejeté la motion des salariés sur l’arrêt des expulsions via les appareils de la compagnie, leur initiative pourrait conduire à la suspension des expulsions sur certaines lignes. Mais pour quelle alternative ?
Les salariés d’Air France-KLM, qui demandaient l’arrêt des expulsions sur les vols réguliers (voir Politis 960), ont fait entendre leur voix. Si leur requête a constitué l’un des gros dossiers de l’assemblée générale de la compagnie qui s’est tenue le 12 juillet dernier, la direction campe sur sa position. « Je pense que les compagnies aériennes doivent normalement, lorsque l’État le demande et lorsque les procédures ont été accomplies, prêter leur concours à l’exécution de ces décisions » , a argumenté Jean-Cyril Spinetta. Le président de la compagnie s’est déchargé de toute responsabilité morale en présentant Air France comme un simple exécutant des décisions du ministère de l’Intérieur, que la compagnie n’aurait pas à « remettre en cause » .
Quelques jours auparavant, les représentants du personnel du comité central d’Air France avaient adopté une motion demandant « l’arrêt de l’utilisation des avions du groupe Air-France KLM pour les expulsions d’étrangers » . Les salariés déplorent que le personnel navigant se retrouve complice et témoin malgré lui de ces reconduites. Le secrétaire général de la CFDT-Air France, Gilles Nicolli, expliquait sur France-Info la semaine dernière que le personnel endurait « de plus en plus le traumatisme de la violence que subissent les personnes reconduites aux frontières » . Le représentant CGT des salariés au conseil d’administration, Pascal Zadikian, reste optimiste malgré tout. Selon lui, l’assemblée générale aura au moins permis de sensibiliser les actionnaires : « Beaucoup d’entre eux n’avaient pas connaissance de ces opérations et des incidents qu’elles impliquaient. C’est le début d’une prise de conscience. L’idée a même été émise de supprimer les expulsions sur certaines lignes sensibles » . La ligne Paris-Bamako par exemple, qui en moins d’un mois a enregistré deux opérations musclées de reconduite à la frontière forcée. L’un des deux vols avait même été annulé. Et des passagers placés en garde à vue pour avoir protesté contre les méthodes d’expulsion mises en œuvre par les policiers. Les syndicats affirment que Jean-Cyril Spinetta n’est pas resté indifférent à leur appel. « Nous avons marqué des points. Le président Jean-Cyril Spinetta a déclaré que « si la sécurité des passagers n’était pas assurée » il se donnait toute latitude pour suspendre certaines destinations comme il en avait pris la responsabilité en 1998 en imposant un moratoire » , écrit la CGT dans son communiqué de presse.
Aucune décision concrète n’a toutefois été prise. Mais le sujet amène de nouvelles questions : préfère-t-on que les expulsions aient lieu sur les vols réguliers d’Air France, ou en catimini, sur des vols spéciaux ? Pascal Zadikian n’a pas de réponse précise : « Nous verrons le moment venu, en fonction des dérives. Pour l’instant, nous restons concentrés sur notre objectif, à savoir l’arrêt de l’utilisation des vols réguliers d’Air France pour les expulsions. » La question mérite pourtant d’être posée. Car si la situation actuelle rend les passagers et le personnel navigant complices de ces expulsions, elle garantit au moins la transparence. En d’autres termes, tant qu’il y aura des expulsions mouvementées sur les vols commerciaux, il y aura des passagers pour s’en indigner. Au risque de finir au tribunal pour avoir témoigné leur solidarité. Est-ce à dire que les salariés d’Air France se trompent de combat ? Leur mobilisation a le mérite de soulever le débat, mais ses éventuelles conséquences font frémir les plus pessimistes. Ces derniers imaginent déjà des charters affrétés spécialement pour les sans-papiers, reconduits à la frontière dans la violence, la nuit, à l’abri des regards gênants. Dans une nouvelle zone de non droit.
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