La ville à la carte
Vélos en libre-service, voitures en auto-partage : plusieurs villes françaises adoptent des services de transport fondés sur la location
à courte durée.
dans l’hebdo N° 961 Acheter ce numéro
Depuis dimanche, avec Vélib, 10 700 vélos en libre-service sont accessibles à Paris dans 750 stations. Fin 2007, le dispositif totalisera 20 600 bicyclettes (premier parc mondial !) à louer pour une ou plusieurs demi-heures, puis à rendre dans une des 1 500 stations que comptera la capitale (une tous les 300 mètres). Les promoteurs de Vélib, la municipalité et l’entreprise de mobilier urbain JC Decaux (cette dernière finance l’opération en échange d’une nouvelle concession d’exploitation de panneaux publicitaires), espèrent 250 000 utilisations par jour. En quatre heures, le jour de l’inauguration, on en comptait déjà 15 000. À Lyon et à Villeurbanne, le libre-service Vélo’V (également géré par JC Decaux), en fonctionnement depuis 2005, est plébiscité par plus de 90 % des habitants. Il aurait déjà permis à la bicyclette de se substituer à 7 % des déplacements automobiles
[^2].
Le jour de l’inauguration de Vélib, à Paris, le 15 juillet, 15 000 bicyclettes ont été empruntées en quatre heures. De Sakutin/AFP
Des inconvénients subsistent manque de pistes cyclables, de vélos parfois, matériel endommagé, etc. , mais ils sont mineurs, semble-t-il, car le modèle fait école. Selon JC Decaux, qui s’enorgueillit d’être le premier opérateur mondial de vélos en libre-service, cette prestation est incluse dans les récents appels d’offres de mobilier urbain de Barcelone, Besançon, Bruxelles, Marseille ou Mulhouse. Pub contre bicyclettes : pour les municipalités, l’instauration, sans bourse délier, de ce service public très valorisant est une aubaine, et peu importe qu’il soit délégué à un opérateur privé.
Le vélo à la demande invente une nouvelle manière de se déplacer en ville, luttant contre les engorgements automobiles, la pollution et les émissions de CO2. Autre caractéristique importante, Vélo’V, Vélib et leurs déclinaisons (à La Rochelle dès 1974, à Rennes, Nantes, Toulouse, Aix-en-Provence, etc.) développent un nouveau mode de consommation : la location de service plutôt que l’acquisition d’un bien, l’achat de demi-heures d’utilisation d’un vélo au lieu d’investir pour en devenir propriétaire.
Le 3 juillet, précédant de quelques jours l’entrée en scène de Vélib, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, inaugurait Okigo, un nouveau service d’auto-partage, c’est-à-dire la location à courte durée de voitures en libre-service (24 heures sur 24), pour une soirée, un déplacement professionnel, une course d’une demi-journée, etc., moyennant un abonnement et une tarification au kilomètre. Comme pour les vélos, pas d’investissement, pas de charges de fonctionnement, d’entretien ou de stationnement.
Depuis 1999, fonctionne à Paris Caisse commune, la première entreprise d’auto-partage en France (17 stations, 85 véhicules, plus de 2 000 adhérents), rejointe en avril par Mobizen (10 stations). Et de petites structures (généralement associatives ou coopératives) ont pris racine dans une dizaine d’autres villes en France (Bordeaux, Clermont-Ferrand, Grenoble, La Rochelle, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Rennes, Strasbourg, etc.).
La nouveauté d’Okigo, c’est qu’il s’agit d’un service lancé par Avis et Vinci park, numéros un européens de la location de voitures et de la gestion de parcs de stationnement : l’époque des pionniers a donc vécu, les poids lourds entrent sur le marché, et l’auto-partage devrait rapidement changer d’échelle. D’autres loueurs classiques étudient d’ailleurs la possibilité de se lancer sur ce marché prometteur. À Paris, environ 57 % des ménages ne possèdent pas de voiture. Marché potentiel : de 30 000 à 60 000 clients. Depuis octobre 2006, le nombre de stations de la capitale a quadruplé, passant de 8 à 31. Okigo, qui en compte 4, en prévoit 20 d’ici à fin 2007, avant d’essaimer dans d’autres villes françaises et européennes. Objectif, pour Avis : une centaine de stations d’ici à trois ans, avec un millier de voitures et près de 40 000 abonnés. La France compte actuellement 3 500 adeptes dans une douzaine de villes. Ils sont 250 000 en Europe, principalement en Suisse (70 000) et en Allemagne (80 000) [^3].
L’auto-partage cumule plusieurs atouts en milieu urbain, même s’ils sont plus discutables que ceux du vélo. Le plus évident, c’est la limitation du nombre de véhicules en circulation. Alors qu’une voiture particulière stationne plus de 95 % du temps, les véhicules en auto-partage ont un taux d’occupation bien plus élevé. Chez Caisse commune, par exemple, un véhicule est partagé par plus de 20 adhérents. On estime qu’une voiture en auto-partage se substitue à 8, voire 10 véhicules particuliers, si elle en provoque l’abandon. C’est aussi une économie pour l’utilisateur : aux tarifs moyens du service, parcourir 5 000 kilomètres par an en auto-partage revient environ deux fois moins cher qu’en voiture particulière.
Enfin, l’auto-partage induit jusqu’à 30 % de diminution d’émissions de CO2. Parce que les voitures sont des modèles récents et neufs, moins polluants, mais surtout parce que les usagers adoptent de nouveaux comportements. Les déplacements étant facturés au kilomètre, ils se montrent plus rationnels et économes dans l’utilisation du véhicule. Ils ont aussi plus volontiers recours aux alternatives à la voiture : bus, métro, marche. Une adaptation durable, montrent les études.
Le gain pour l’environnement est même démultiplié avec l’usage de voitures électriques, comme c’est le cas depuis des années à La Rochelle. Le maire de Paris, qui ne veut pas réduire l’allure à huit mois des municipales, annonce, d’ici à la fin de l’année, un service d’auto-partage avec voitures non polluantes pour la capitale.
[^2]: En 2004, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie a étudié des opérations de ce type dans douze villes de France : elles représentaient 3,7 millions de déplacements par an, et 20 % des utilisateurs de vélo étaient des transfuges de la voiture.
[^3]: Et 120 000 en Amérique du Nord.