« Le sarkozysme culturel s’étend à Radio France »

L’émission « la Bande à Bonnaud » ne sera pas reconduite à
la rentrée sur France Inter. Son producteur dénonce la politique
de course à l’audience qui gangrène les chaînes publiques.

Clotilde Monteiro  • 19 juillet 2007 abonné·es

L’annonce de l’arrêt de votre émission et votre éviction ont provoqué un scandale, le PCF s’est même fendu d’un communiqué à l’AFP pour dénoncer une « logique d’épuration » et une « volonté de mise au pas des journalistes et personnels du service public »…

Frédéric Bonnaud : S’il est banal de supprimer une émission, interdire d’antenne sur toutes les chaînes du groupe Radio France un de ses producteurs l’est beaucoup moins. On n’a jamais vu ça. Il est clair que la direction de France Inter n’avait pas prévu que cette affaire ferait un tel scandale. On a reçu des dizaines de milliers de courriels, de commentaires, de messages, de sacs postaux, etc. Mais je ne suis pas dupe : si cette affaire a fait couler autant d’encre, c’est aussi parce qu’au même moment, Daniel Schneidermann a été évincé de France 5. Dans son cas, il ne fait aucun doute que son licenciement a été décidé pour des raisons d’épuration politique. En ce qui me concerne, j’estime que ça participe plutôt d’une espèce de sarkozysme culturel qui se résume en une phrase : « Tout ce qui ne répond pas à la logique de l’audimat n’est pas bien. »

Avez-vous eu la possibilité de faire de nouvelles propositions d’émissions à la direction de France Inter ?

Le 12 juin, lors de ma dernière entrevue avec Frédéric Schlesinger, je savais déjà que mon émission ne serait pas reconduite à la rentrée. Je lui ai dit que j’allais lui faire des propositions d’émission hebdomadaire, ce à quoi il a répondu que je n’avais pas à lui faire de propositions. Je dois dire que je ne soupçonnais pas qu’il irait si loin et que cette espèce de fatwa s’étendrait sur tout le groupe Radio France.

La direction de France Inter a invoqué des résultats d’audience médiocres concernant votre émission…

C’est faux. Ils ne sont pas si mauvais. Mais, si les résultats de médiamétrie, qui sont une vaste blague puisque ce ne sont que des sondages, doivent devenir le seul critère d’évaluation des émissions, ça signifie que cette direction affiche clairement sa volonté de passer à la trappe la notion de service public à laquelle est tenue cette radio. France Télévisions a fait, il y a quelques années, le choix de la course à l’audience au détriment de celui de la qualité, le résultat aujourd’hui n’est pas probant. Ni France 2 ni France 3 n’arrivent à rivaliser avec TF 1. Frédéric Schlesinger et Jean Béghin, le délégué à la direction d’antenne, avaient décrété que mon émission devait atteindre en trois mois une audience équivalente à celles de mes prédécesseurs, Frédéric Lodéon et Daniel Mermet, sur cette tranche horaire. Pour que je sois en mesure de relever ce défi, il aurait fallu qu’on m’accorde un peu plus de temps.

Frédéric Schlesinger a également déclaré que vous n’étiez pas « manageable », même s’il ne remet pas en question la qualité de votre travail…

Dès lors qu’il avance ce genre d’argument, il remet en question mes qualités professionnelles. En vérité, la direction de France Inter n’a cessé de m’adresser des critiques ainsi qu’à mon équipe. Outre la liberté de ton de l’émission, elle nous a reproché d’être « trop élitistes, trop France Culture, trop littéraires » . Mais le fond de l’affaire, c’est que Frédéric Schlesinger et Jean Béghin m’avaient proposé une émission quotidienne clés en main dont le titre prometteur, « Le Trash et l’Enclume », laissait entendre qu’elle serait un pastiche du « Masque et la Plume ». Cette « variation divertissante » , selon leurs propres termes, aurait été un mix des « Grosses Têtes » et du « Masque et la Plume ». De là à imaginer qu’ils avaient en tête de flinguer, en la pastichant, l’émission la plus ancienne et la plus respectée de la grille de France Inter, il n’y a qu’un pas. J’ai, bien sûr, catégoriquement refusé de répondre à cette commande. Le 21 février dernier, Frédéric Schlesinger est revenu à la charge en me proposant de réduire à une heure la durée de mon émission afin de consacrer la demi-heure restante à « une émission sur le patrimoine de la chanson française pour récupérer les petites vieilles qui avaient l’habitude d’écouter Frédéric Lodéon ». Si j’acceptais ce marché, en échange, Frédéric Schlesinger me promettait d’avoir « une chance d’être à l’antenne à la rentrée » . J’ai, là aussi, catégoriquement refusé. Il faudrait maintenant s’intéresser aux raisons qui ont poussé Jean-Paul Cluzel, ce grand commis de l’État, à recruter Frédéric Schlesinger. Cet homme qui a fait carrière à Europe 2 et à RFM est obsédé par l’audience, sa culture d’entreprise n’est pas la nôtre. N’aurait-il pas pour mission de mettre France Inter au pas ?

Médias
Temps de lecture : 4 minutes