Post-scriptum
dans l’hebdo N° 960 Acheter ce numéro
Je terminais le dernier bloc-notes en vous souhaitant de bonnes vacances, c’était prématuré : à la demande générale du directeur de Politis (homme de bon goût et de surcroît légitimement animé du souci de remplir les pages du journal jusqu’au cœur de cet été pourri), je m’impose donc encore quelques exercices de clavier, dont un que vous lirez si ça vous dit dans le « spécial été » en préparation sur Mai 68 (où ma contribution est requise sur le thème : « Dis, pépé, raconte-nous encore les barricades ») ; et donc ce présent post-scriptum, où j’entends juste vous signaler quelques titres de livres, à fourrer éventuellement dans votre sac de voyage.
Car, je vous l’ai déjà dit, les livres sont mon tourment et mon remords, en même temps que mon plaisir. Ceux que je reçois, par paquets, avec parfois une gentille dédicace de l’auteur, en bien trop grand nombre pour que je puisse leur apporter à tous l’attention que, sans doute, ils méritent, et donc la signaler à la vôtre. Remords, parce que je sais les efforts et les espoirs investis dans tout ce papier imprimé que la pléthore éditoriale voue, pour l’essentiel, au pilon. Voici, donc, une session de rattrapage : en tout genre, pour tous les goûts.
C’est vous qui voyez…
– Pour rire, ou sourire : J’y suis ! Les dessins de la campagne présidentielle [^2], de Pétillon, l’un des maîtres du dessin politique, qui sévit notamment au Canard. Sarko, depuis la salle de bains où il « y » pense en se rasant, jusqu’au yacht où il « habite sa fonction » au large de Malte ; et entre les deux, une campagne, avec ses principaux protagonistes, ses rebondissements, ses bourdes, ses surprises, ses traîtrises… Le meilleur des résumés en petits crobards qui font mouche !
– Pour frémir en souriant (ou l’inverse) : les Grandes Affaires criminelles de la Creuse [^3], de Jean-Marie Chevrier. Parce que, faut pas croire, « nous au village aussi l’on a…». De la touchante histoire de la Pucelle de La Souterraine, en 1416, à celle, sordide, du Gourou de Magnat-l’Étrange, en 2000 – en passant par celles du Colosse de Crocq (1956) ou des très célèbres Amants de Bourganeuf (1972), qui inspirèrent Claude Chabrol pour ses Noces rouges –, l’ami Chevrier a épluché toutes les archives du département pour nous les restituer en une cinquantaine de tableautins malicieusement tournés, comme il sait faire, un régal !
– Pour confirmation : deuxième roman de Lola Lafon, jeune écorchée vive dont je vous avais signalé la force du premier (Une fièvre impossible à négocier, 2003) ; avec De ça je me console [^4] (référence à un jeu inventé par un père pédagogue pour lui apprendre à relativiser ses chagrins de petite fille), la « rockeuse balkanique » confirme, avec un très sûr jugement sur notre époque merdique et sa cohorte de « Presque Morts » (comme elle dit), d’évidentes qualités d’écrivain(e) ; dès les premières lignes : « Alors tout a commencé à me faire horreur, tout, les passants, les trottoirs d’école primaire, et les phrases légères de ceux dont j’observais le corps oxygéné et triomphant : ma génération qui restait vaseusement jeune jeune jeune. »
– Pour se perdre : en conjectures ! C’est quoi ça ? C’est-y de l’art ou du cochon ? Écrit à deux mains par deux compères qui jouent les Boileau-Narcejac, le Vase de Salomon [^5], de S.-A. Riegerey, mêle en un drôle de micmac des genres différents : policier, ésotérique, maçonnique, exotique, gastronomique, satirique… On s’y perd un peu, ça part dans tous les sens, mais cette balade avec les gens du voyage, les manouches, leurs embrouilles et leurs charres ne manque ni de charme ni de verve. Nos deux auteurs (l’un est un ancien acrobate de cirque devenu dentellier, l’autre prof et documentaliste, tous deux altiligériens) se sont autoédités, faute d’avoir intéressé un professionnel, et c’est dommage : un bon aurait su mettre un peu de rigueur dans leur exubérance !
– Pour la nostalgie : je m’en voudrais d’oublier Panique à l’Impérial Palace [^6], de Michel Carvallo, ces Chroniques de l’agitation culturelle 1968-1975, qui nous narrent comment une petite bande de gauchistes allumés, fous de jazz (dont l’auteur – ex-visiteur médical ayant jeté ses valises de spécimens aux orties, avec ses costards cravates, en Mai 68 – fut l’initiateur et le chef d’orchestre), mit avec persévérance, musique, théâtre, humour, imagination et courage (il en fallait, dans ces années-là et dans cette ville bourgeoise et policière, pour défendre immigrés, clodos, handicapés, et femmes aux grossesses-catastrophes… Anecdotes en pagaïe : au détour d’une page, vous croiserez Arthur – le vrai, pas celui de TF1, celui de Charlie Hebdo, le vrai, pas celui de Philippe Val – en soupirant transi de Jeanne Moreau, poilant !), mit, donc, le feu au lac d’Annecy – et au-delà.
– Pour comprendre : la politique, ses ris, ses rites et ses jeux. Par le petit bout de la lorgnette, loin des grands récits, des classes en lutte, des masses qui font l’Histoire en marche ? Sans doute, mais il n’est pas non plus négligeable de les ausculter, ces hommes (et maintenant aussi ces femmes) de pouvoir, de chercher à percer ce qui fait à leur vue défaillir les foules, de quelles vérités, de quelles onctions, mais aussi de quels artifices ils sont porteurs. C’est à quoi s’emploie l’ethnologue Yves Pourcher avec assez de bonheur et à travers moult références passées et présentes, dans Politique parade, pouvoir, charisme et séduction [^7]. Approchez mesdames et messieurs, le spectacle va commencer !
– Pour s’indigner : oui, n’en déplaise aux cyniques et aux ravis de la crèche qui ne voient, dans l’histoire de l’homme blanc et de ses conquêtes, aucun motif, vraiment, de battre sa coulpe. Bienvenue cette réédition du fort bouquin de Sven Lindqvist, qui a choisi pour titre une citation célèbre de Conrad : Exterminez toutes ces brutes ! [^8] Bonne idée, et en situation, au moment où se confirme en France la vérité sur notre rôle (enfin, notre : celui de ceux qui parlent en notre nom…) dans le génocide du Rwanda. Lindqvist, écrivain suédois, est de ces hommes qu’obsèdent les responsabilités impérialistes dans les grands malheurs du monde, que révulse la sanglante manière dont s’est forgée la puissance occidentale au nom de sa prétendue civilisation, et qui voient, dans les crimes monstrueux de son histoire coloniale, la matrice du génocide hitlérien (« Auschwitz fut l’application moderne et industrielle d’une politique d’extermination sur laquelle reposait depuis longtemps la domination du monde par les Européens. ») Dans Exterminez…, il voyage à la fois au cœur de l’Afrique et dans l’Histoire, mêle le passé et le présent, l’autobiographie et la méditation : œuvre originale dans la forme (l’auteur avance par très courts chapitres, 169 en tout, de quelques lignes à deux ou trois pages), dérangeante sur le fond. Car : « Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut. Ce qui nous manque, c’est le courage de comprendre ce que nous savons et d’en tirer les conséquences. »
– Pour s’interroger : mais qui est donc ce zèbre noir qui joue les dandies sur la couverture du livre, sur fond d’émeutes des banlieues ? Il signe WLH, ce qui ne nous renseigne guère, et se prétend « l’Ambassadeur du ghetto » , convoquant Sarkozy pour un débat en tête-à-tête (c’était avant qu’il ne soit élu), entendant lui démontrer qu’il a la solution pour éteindre les Flammes de la révolte [^9]… S’il le dit !
– Pour philosopher : la place respective des hommes et des femmes dans la vie de la Cité, le statut du corps sexué à l’heure des biotechnologies, les rapports entre générations, temporalité et histoire, on reconnaîtra là les grands thèmes chers à Sylviane Agacinski et traités dans ses ouvrages précédents. Dans ces Engagements [^10], la philosophe réunit un certain nombre d’articles plus ou moins fouillés parus dans divers journaux ou revues ces dernières années et en profite, en préface, pour répondre aux attaques dont elle a souvent fait l’objet en défendant le principe de la parité fondé sur la différence des sexes contre les tenants (et tenantes, comme Élisabeth Badinter) de l’universalisme dit républicain. Et à celles qui opposent le genre au sexe, elle rétorque : « Je continue de trouver paradoxal de parler de féminisme tout en disant que les femmes n’existent pas. » (De vous à moi : moi aussi…)
– Pour apprendre… à désobéir : un droit, la désobéissance ? C’est même un devoir, pour le philosophe Thierry Paquot, qui s’inscrit dans la lignée des Thoreau, Gandhi, Lanza del Vasto, Ellul, Dumont, Guattari et autres Bové : la désobéissance civile comme dernier recours, quand c’est la vie même de l’espèce et de la planète qui est en cause – et elle l’est, si nous n’adoptons pas d’urgence les règles de vie énoncées dans ce Petit Manifeste pour une écologie existentielle [^11], écrit dans une langue limpide ; et dont ce n’est pas le moindre mérite que d’offrir in fine à son lecteur une bibliographie commentée pratiquement exhaustive (et puisqu’on parle de désobéissance, parlons aussi de solidarité : les Faucheurs volontaires condamnés ont besoin d’un coup de main financier, une association recueille les dons, déductibles : Sans Gène, Casc, 10 bis, rue du Colonel-Driant, 31400 Toulouse, 05 65 61 08 67 et sans-gene@no-log.org).
– Pour tenter la révolution : en même temps que la synthèse entre socialisme et anarchie, un exemple à suivre (si l’on ne craint pas de prendre des coups !), celui de Daniel Guérin, révolutionnaire en mouvement(s) [^12], recueil de travaux et d’analyses d’intellectuels français et étrangers sur les aspects divers et les multiples facettes de cet étonnant bonhomme, dont la vie a traversé le siècle dernier (1904-1988) et qui a milité sur tous les fronts, y compris celui de la libération homosexuelle. Cet essai est le deuxième d’une collection, « Dissidences » (le premier traitait de la lutte armée et du terrorisme), qui s’est donné comme objectif de « concourir à une approche dépassionnée et scientifique des mouvements révolutionnaires sous toutes leurs formes, politiques, artistiques, sociales, etc. » Des détails sur leur site : www.dissidences.net
– Pour battre la campagne : au sens propre, les terroirs de France, mais aussi les villes, de bistrot en masure ou en palace, en la bonne compagnie d’un confrère d’excellence, le Jean Lebrun de France Culture, qui nous convie chaque jour à ses « Travaux publics ». Un Journaliste en campagne [^13], homme d’écoute qui sait distribuer la parole, et qui nous dit avec Clemenceau : « Malheur aux pays qui se taisent, gloire aux pays qui parlent. »
Enfin (pour cette fois), et bien qu’il ne m’ait pas envoyé le bouquin (ce saloupiaut !), sachez que François Bouchardeau a récemment réédité l’introuvable Devoir d’irrespect ^14, du grand journaliste que fut Claude Julien (directeur historique du Diplo). C’est « le » livre que chaque confrère devrait avoir sur sa table de nuit ! Je peux vous dire que c’est du tout bon, parce que j’ai gardé précieusement l’édition originale, où je vais parfois me ressourcer…
Re-bonnes vacances. Sous le tilleul s’il fait beau, sous la couette ou au creux du fauteuil si le temps reste pourri, mais de toute façon, un livre en main, n’est-ce pas ?
[^2]: Dargaud, 72 p., 9,80 euros.
[^3]: De Borée, 63540 Romagnat, 04 73 15 30 45, gteditions@deboree.com, 346 p., 24 euros.
[^4]: Flammarion, 410 p., 19 euros.
[^5]: A.U.T.E.U.R. (3, Prat du Loup, 43000 Le Puy), 397 p. 19 euros, port compris.
[^6]: Asile éditions (59, route des Frassettes, Ferrières, 74370 Pringy, 04 50 51 71 49 et asile@numeo.fr), 250 p., 23 euros.
[^7]: Seuil, 235 p., 17 euros.
[^8]: Les Arènes, 235 p., 14,80 euros ; et du même, sur un sujet voisin (l’extermination des Aborigènes d’Australie), chez le même éditeur et au même prix : Terra Nullius.
[^9]: Les points sur les i (BP 96, 94272 Le Kremlin-Bicêtre Cedex, www.i-editions.com), 172 p., 17,90 euros.
[^10]: Seuil, 188 p., 16 euros.
[^11]: Bourin Éditeur, 120 p., 14 euros. Qui sort aussi un essai universitaire d’actualité brûlante sur le Nouveau Prolétariat intellectuel (ceux qu’on appelle « les intellos précaires »), du professeur François Moureau, 139 p., 15 euros.
[^12]: L’Harmattan, 216 p., 19,50 euros.
[^13]: Bleu autour (avec les p’tits mickeys de Catherine Beaunez), 125 p., 10 euros.