Bourse aux élèves
Les meilleurs lycées de France, notamment à Paris, fonctionnent déjà sur un système de « libre choix régulé ». Reste un obstacle : le nombre de places.
dans l’hebdo N° 965 Acheter ce numéro
Statu quo dans les établissements d’élite. Si les assouplissements prévus pour la rentrée 2007 par le ministre de l’Éducation, Xavier Darcos, inquiètent les chefs d’établissements du secondaire dits « difficiles », les collèges et lycées les plus cotés de l’Hexagone, notamment parisiens, ne voient pas leur mode de recrutement bouleversé.
Avant la réforme, environ 30 % de « tricheurs » dérogeaient à la carte scolaire sur tout le territoire. Ce chiffre comprend des disparités très importantes, tant au niveau géographique (jusqu’à 40 % de dérogations à Paris contre un taux de 3 à 10 % dans le reste de la France) que d’un point de vue social (jusqu’à 60 % de dérogations chez les enfants de cadres, contre seulement 18 % chez les enfants d’ouvriers). Ces différences sont aussi le fruit du mode de recrutement singulier qu’observent les établissements dits d’élite. Un système quasi opaque qui suit ses propres règles.
Quand les parents d’élèves n’abandonnent pas simplement le public pour le privé (on estime aujourd’hui qu’environ un élève sur deux passe dans un établissement privé au moins une fois dans sa scolarité), les familles des classes moyennes et supérieures ont recours à diverses stratégies pour choisir l’établissement où scolariser leur enfant. C’est au lycée que les choix de contournement de la carte scolaire s’expriment le plus fortement. Les tentatives de régulation, dont faisait partie la carte scolaire, se sont longtemps heurtées au développement de ces stratégies, perçues par certains spécialistes comme un signe de progression de la « parentocratie ». En effet, un nombre croissant de parents bien renseignés se sont constitués, au fil des ans, une véritable « boîte à outils du contournement ». Certains achètent une boîte aux lettres dans le secteur du lycée convoité, d’autres investissent dans un studio, parfois à plusieurs familles, ou s’offrent une panoplie de VRP motivé pour intervenir directement auprès des chefs d’établissement.
Par son pilotage des dossiers de dérogation, l’Inspection d’académie est censée parvenir à réguler ces usages qui s’apparentent au mode de recrutement des établissements privés. En réalité, la régulation du système éducatif public repose principalement sur la capacité des parents à convaincre les chefs d’établissements de prendre leur chère progéniture… De quoi générer de profondes inégalités. Quand les premiers efforts n’ont pas abouti, il reste aux parents une botte secrète~: le choix d’une option rare, souvent une langue vivante, qui n’existe que dans les lycées de haut niveau. On se met donc au russe pour entrer à Henri-IV.
Sauf qu’à Paris, les lycées bénéficient d’un mode de recrutement unique en France, inspiré du modèle anglo-saxon du « libre choix régulé ». Pour l’entrée en seconde, les élèves formulent un choix de quatre établissements classés par ordre de préférence, trois dans leur secteur de résidence et un en dehors. Une fois tous les dossiers déposés, les proviseurs de lycées se réunissent fin juin dans une salle du rectorat du XXearrondissement. Durant la « commission d’affectation », aussi appelée « bourse aux élèves », ils sélectionnent leurs futurs élèves parmi ceux qui les ont placés en premier choix. Les grands établissements, comme Henri-IV ou Louis-le-Grand, prélèvent ainsi les meilleurs éléments avant de remettre les autres dans la « bourse » que se disputent alors les établissements de seconde zone.
Déjà très libéral, ce fonctionnement comportait, aux yeux de certains, encore trop d’espaces de régulation. D’où des opérations de pression successives pour faire disparaître la carte scolaire. Reste que, dans le cas où le marché scolaire finirait par être complètement libéralisé, ceux qui rêvent de placer leurs enfants dans la crème des lycées pourraient se heurter à un ultime obstacle~: déjà sursollicités, ces établissements n’auront jamais assez de places pour accueillir tous les candidats. Il leur faudra donc durcir les conditions de sélection. Mais pour les critères, ils auront le champ libre.