Gazon vert pâle
Ce sera le premier grand événement sportif vraiment écolo, annonce le gouvernement. Pourtant, malgré des efforts inédits, les avancées resteront très limitées.
dans l’hebdo N° 966 Acheter ce numéro
« Avant même son coup d’envoi officiel, la sixième édition de la Coupe du monde de rugby fait une entrée remarquable dans les annales de l’environnement, en tant que première grand-messe sportive internationale conçue comme un modèle en termes d’écoévénement. » C’est l’accroche tonitruante du communiqué de presse diffusé la semaine dernière par le cabinet du ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo. La France se décerne le titre de championne du monde du sport vert avant même que débarquent les cohortes de touristes venues des antipodes ou que le premier gobelet en plastique n’ait été jeté au sol.
Syndrome d’une France qui réinvente tout et d’une classe politique rompue à la récupération expresse : le ministre passe à la trappe les précédents notoires Jeux olympiques de Sydney (2000), Coupe du monde de football en Allemagne (2006), etc. qui avaient fait de l’impact environnemental de l’événement un axe de leur engagement, sinon de leur communication, et se prévaut de l’effort des dix villes françaises hôtes de la compétition. « Alors qu’aucune d’entre elles n’a reçu le moindre soutien financier de l’État » , s’élève Maud Lelièvre, adjointe verte à Saint-Denis. Écologiquement en pointe depuis 2001, la ville du Stade de France indique avoir été à l’initiative, depuis un an et demi, du « verdissement » des actions des autres villes hôtes autour de la coupe du monde passation des marchés publics, collecte des déchets, transports doux, restauration équitable, etc.
Ensuite, le « modèle de grand-messe » se résume en un programme d’accompagnement de l’événement (et non pas engagé à sa conception) par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les villes hôtes et certains partenaires (mécènes, instances sportives, etc.).
L’Ademe a réalisé un « bilan carbone » de l’événement (une première, à cette échelle) : le calcul de la quantité totale de CO2 générée par toutes les activités qui lui sont liées matchs, déplacements, restauration, etc. Au total, 570 000 tonnes, mais dont seulement 8 % dus à la compétition elle-même, et 84 % pour le transport des personnes ! Principale mesure de limitation de cet impact, le recours au rail pour le déplacement des délégations sportives sur le sol français. Économie : 1 000 tonnes de CO2 ! L’Ademe n’estime pas le gain total des actions. « Nous n’avons pas accès à toutes les données, justifie Pierre Galio, chef du projet. Et notamment la répercussion, dans la durée, des nombreuses actions de sensibilisation engagées. »
On voit cependant mal comment ces efforts pourraient compenser ne serait-ce que 1 % de l’impact climatique total de l’événement, alors qu’aucune mesure spécifique ne concerne les énormes émissions du transport aérien. La Rugby World Cup (RWC), propriétaire de l’événement, a décliné les sollicitations afin de ne pas brouiller son plan de communication, engagée qu’elle est auprès du Programme alimentaire mondial. La Fédération française de rugby, pourtant conviée par Jean-Louis Borloo et l’Ademe à se féliciter de l’effort environnemental entrepris, fait savoir au téléphone « qu’elle n’est pas impliquée, il faut voir le comité d’organisation » [^2]. Un rapide calcul montre cependant qu’une compensation (par des projets de reforestation, par exemple) n’aurait représenté un coût que de l’ordre de 10 millions d’euros, à raison de 20 euros (prix fort) la tonne de CO2 . L’école de commerce Essec évalue les retombées de la Coupe à 8 milliards d’euros sur quatre ans. Et une contribution des spectateurs, incluse dans le prix des billets d’entrée aux stades ? « Notre proposition est arrivée trop tard, reconnaît Pierre Galio, le plan de financement des organisateurs était déjà bouclé… »
Pour que « l’entrée remarquable dans les annales de l’environnement » ne se traduise pas par un microbilan, il faudra donc compter sur la conscience citoyenne des spectateurs : 250 000 « passeports de l’écosupporter » leur seront distribués, ils y trouveront l’adresse de sites Internet pour compenser leurs émissions de CO2 ([^3]).
[^2]: Aucune trace d’un souci environnemental sur les sites de la RWC et de la FFR.