La rançon de la croissance
Solution pour sortir d’un système qui s’entête dans un productivisme dévastateur, le développement durable parie sur la compatibilité entre progrès technique et bien-être global.
dans l’hebdo N° 967 Acheter ce numéro
En ce début du XXIe siècle, la crise écologique oblige à reconsidérer les conceptions dominantes du progrès, faisant de celui-ci une résultante automatique de la croissance économique. Le réchauffement du climat, l’épuisement des ressources, les pollutions, la biodiversité réduite, l’empreinte écologique dépassant les limites de la planète sont aujourd’hui avérés. On prend conscience qu’aucune croissance infinie n’est possible dans un monde fini. Cette crise écologique doit être rapprochée de l’impasse de l’accumulation capitaliste, qui, au nom du profit, provoque abondance et gaspillage d’un côté, et misère, chômage et précarité de l’autre. Crise écologique et crise sociale sont donc les deux faces d’un système qui ne peut fonctionner qu’en pratiquant une fuite en avant dans un productivisme dévastateur, menaçant les conditions de la vie future, et en réduisant le travail à une marchandise, exploitable ou jetable au gré des exigences de rentabilité. Ces deux aspects indissociables sont le produit de ce que Marx avait nommé le « règne de la marchandise » . En faisant main basse sur toutes les ressources de la planète, en ne considérant comme légitimes que les productions marchandes répondant à des besoins solvables et en cherchant à élargir sans cesse sa sphère d’investissement par la marchandisation des services publics, de la protection sociale, de la culture, des connaissances et de tout le « vivant », le capitalisme engendre un développement « insoutenable » à la fois écologiquement et socialement. Le basculement vers un capitalisme débarrassé de contraintes de régulation fut opéré lorsque la liberté totale de circuler accordée aux capitaux dans les années 1970-80 permit à leurs propriétaires d’élever considérablement leurs exigences de rentabilité. Soumise au « diktat » des lobbies financiers, aucune organisation sociale n’est plus maîtresse de son destin, ballottée entre le mirage d’une « nouvelle économie » et une réelle crise globale.
Pour faire face à cette crise systémique, plusieurs voies sont explorées. La première est celle du capitalisme néolibéral. Pour sortir de la crise de rentabilité de la fin des années 1960 et du début des années 1970, un tournant radical a été pris : libéralisation du mouvement des capitaux et des marchandises, déréglementations, privatisations, concentrations, restructurations, précarisation du salariat, chômage, ajustement structurel, etc. En déconnectant les salaires de la productivité et en limitant les droits sociaux, l’exploitation de la force de travail s’aggrave. Et l’écologie n’est conçue que comme un marché nouveau pour de futures bonnes affaires.
La deuxième voie est celle inaugurée par l’ONU après la publication du Rapport Brundtland en 1987, qui a servi de base à la Conférence de Rio de Janeiro en 1992, et dans lequel on trouve la définition devenue officielle du développement soutenable ou durable : celui qui « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » . Cette définition est désormais la référence de tous les gouvernements et des dirigeants des grandes firmes. Censé réconcilier progrès social et respect des écosystèmes, le développement soutenable souffre pourtant, dans sa traduction dominante, d’une faille béante : il est admis que la croissance économique restera une condition toujours nécessaire de l’amélioration du bien-être et sera compatible avec la préoccupation écologique. Autrement dit, il est postulé que le progrès technique résoudra les questions d’épuisement des ressources et de pollutions globales, pour peu que l’on instaure des prix de marché sur tout ce qui n’en avait pas jusqu’alors.
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