Où est le problème d’offre ?
dans l’hebdo N° 968 Acheter ce numéro
La présidente du Medef, relayée par l’économiste en chef de l’OCDE, le Cercle des économistes et quelques rénovateurs de « logiciel socialiste », attribue la panne d’investissement que subit la France depuis quinze ans à un « problème d’offre ». Tous réduisent le propos des keynésiens à la seule redistribution pour relancer la consommation et assister les pauvres. « Il faut produire avant de redistribuer ! », clament-ils en désignant la fiscalité, le droit du travail et la dette publique comme autant de freins à la croissance.
Il est très étonnant que d’éminents économistes continuent de confondre insuffisance d’investissement et problème d’offre. Ont-ils pu oublier que la demande globale de l’économie comprend la consommation et l’investissement ? L’actuelle panne d’investissement est avant tout liée à l’insuffisance d’une composante de la demande, que les keynésiens qualifient d’ investissement autonome des entreprises ; celles-ci n’engagent pas de dépenses pour les biens d’équipement.
Les problèmes d’offre ont en réalité disparu. Des millions de travailleurs accepteraient de travailler aux conditions d’un marché du travail toujours plus dégradé et pour des salaires qui augmentent moins que les prix. Le taux d’épargne français est l’un des plus importants du monde occidental « grâce » aux politiques ayant organisé la redistribution des revenus en faveur des ménages aisés, donc à forte propension à épargner. Les entreprises du CAC 40 disposent de fonds propres pour s’endetter et investir. Elles bénéficient de marges d’autofinancement importantes, compte tenu de l’importance des profits qu’elles réalisent (100 milliards d’euros en 2006). Elles en consacrent hélas une part substantielle au versement de dividendes aux nouveaux rentiers. Une autre part est destinée aux achats et rachats d’actions qui alimentent la bulle spéculative. Dans un contexte où les entreprises n’investissent pas, il est heureux que l’épargne puisse financer les dépenses publiques par le biais des obligations d’État pour soutenir un tant soit peu la croissance. Encore faut-il que la dette publique ne soit pas gaspillée dans d’inutiles paquets fiscaux. En tout cas, la dette, profitant aujourd’hui aux créanciers de l’État, ne pèse donc aucunement sur les générations futures.
Les problèmes d’offre subsisteraient cependant dans les PME, dont les taux de marge sont inférieurs à ceux des entreprises cotées. Pour utile que soit un « small business act » favorable aux petites entreprises, leur développement est tributaire des décisions stratégiques des grandes entreprises cotées, dont elles sont, pour la plupart, les sous-traitantes. Dans les grandes entreprises, la pression à la rentabilité imposée par les actionnaires dissuade les investissements lourds, dont l’horizon ne se situe pas sur le court terme. Cette pression conduit ces entreprises à comprimer l’emploi et les salaires, à réduire leurs commandes en direction des PME sous-traitantes, qu’elles mettent en concurrence avec celles des pays à bas coûts. Pour survivre, les PME sont sommées de baisser leurs prix et donc de comprimer leurs coûts. La déflation salariale généralisée accentue la perte de pouvoir d’achat des salariés. La contraction des débouchés, consécutive à une demande affaiblie par la baisse de la part des salaires dans le revenu national, n’incite de surcroît aucunement les entreprises à accroître leurs capacités de production. Le sous-investissement dans les secteurs innovants explique en partie la perte de compétitivité des entreprises, la désindustrialisation des régions et le déficit de la balance commerciale. Tous les moteurs de la croissance sont en panne : investissement, consommation, exportations. Seule la consommation des classes riches tire encore la demande. La faiblesse de la croissance maintient le chômage à des taux élevés, malgré la décrue de la population active.
Dans une économie en sous-emploi, la production est plus que jamais contrainte par la demande. Les profits d’hier n’ont pas été les investissements d’aujourd’hui et ne seront pas les emplois de demain. Il faut en tirer les conséquences, tant en matière de stratégie industrielle, où le bilan des privatisations s’avère désastreux, qu’en matière de politiques fiscale et salariale, où la montée des inégalités entretient l’épargne des classes aisées au détriment de la consommation populaire.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.