Triangle d’or
Les jeunes musiciens de Stéphane Kerecki Trio déploient maîtrise
et inventivité.
dans l’hebdo N° 966 Acheter ce numéro
Lorsque le Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSMDP) s’ouvrit au jazz, les réactions furent mitigées. D’un côté, on ne pouvait que se réjouir de voir le temple de la formation musicale française reconnaître enfin la légitimité de cette musique, et le fait qu’elle pouvait être enseignée ; de l’autre, certains craignaient qu’une telle formalisation de l’apprentissage d’un art faisant une place essentielle à l’improvisation n’entraînât une stérilisation des imaginations. L’arrivée à maturité de générations de musiciens passés par le Conservatoire démontre aujourd’hui que ces craintes étaient infondées. Le trio du contrebassiste Stéphane Kerecki, dont les trois membres (outre Kerecki, le saxophoniste Matthieu Donarier et le batteur Thomas Gimonprez) ont obtenu des prix du CNSMDP, en est une illustration. Même si cela ne signifie toujours pas qu’il soit indispensable de passer par cette école pour devenir un bon musicien de jazz… Ce trio allie en effet maîtrise parfaite et inventivité.
Dirigé par un contrebassiste, il repose sur une économie qui ne privilégie aucun des sommets du triangle mais fait circuler la musique de l’un à l’autre. Le bassiste, toutefois, en est bien le pivot, très solide en accompagnement, ne répugnant pas le cas échéant à la classique « basse marchante » (walking bass) , pourvoyeur d’une dynamique rythmique qui stimule le phrasé collectif, mais aussi passablement aventureux en solo, montrant là tout ce qu’il a développé à partir de l’enseignement de Jean-François Jenny-Clark.
Mathieu Donarier, sur cette base solide, peut jouer la fluidité, avec une très grande clarté dans la phrase qui met en valeur des élans, des circonvolutions bien modernes, évoquant Dave Liebman jusqu’à Archie Shepp.
Thomas Gimonprez, enfin, est de ces batteurs qui ne se contentent pas de fournir la mesure et le rythme mais enluminent la musique. Parfaitement contemporain, sachant capter l’auditeur par des audaces subtilement conduites, ce trio séduit sans déconcerter ; il porte au rêve.