Un débat très agité

Le forum « Vive la politique ! » organisé la semaine dernière à Grenoble par « Libération » a pris l’allure d’une vaste opération de communication… et connu quelques « bavures ».

Patrick Piro  • 20 septembre 2007 abonné·es

Des gendarmes mobiles empêchant l’entrée derrière une rangée de grilles, des policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) et des RG pour filtrer les entrées au faciès, quelques expulsions manu militari … Le Forum de Libération , qui s’est tenu du 13 au 15 septembre à la Maison de la culture de Grenoble (MC2), était pourtant annoncé comme une « rencontre citoyenne pour se réapproprier la politique » .

Illustration - Un débat très agité


L’évacuation musclée d’un adhérent de la SLL.
PABLO CHIGNARD

Il y a trois mois, le quotidien annonçait son intention d’organiser une grande rencontre participative avec ses lecteurs. Il devait un temps s’intituler « La gauche est morte, vive la gauche ! », avec la participation de l’ensemble de la gauche autour de ses projets de refondation. La direction du journal a finalement préféré un prudent « Vive la politique ! », sous forme d’une cinquantaine de « duels » entre deux « grands témoins » ­ politique, économie, culture, philosophie, etc. ­, l’un de gauche et l’autre de droite, la plupart du temps, dont une dizaine de ministres ou secrétaires d’État. Quelle droite nous gouverne ? Quelle gauche va se reconstruire ? Laurent Joffrin, directeur de Libération , avait recadré le débat, présenté comme un « rendez-vous essentiel de la rentrée politique » , et comme un « temps fort de la vie citoyenne » par Max Armanet, directeur du développement [^2].

Les associations locales n’avaient pourtant pas été conviées [^3], et plusieurs d’entre elles, avec la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et le syndicat SUD, appelaient à manifester contre ces « trois jours de baratin, de petits fours et de manigances » ou ce « Libé… râle de gauche » .

Pour faire bonne mesure, les organisateurs avait concédé aux associatifs d’organiser à La Bifurk, espace alternatif voisin, une vingtaine de « tables rondes, ateliers de discussion, débats, expressions libres, performances artistiques […] » C’est là que l’on retrouvait la Société des lecteurs de Libération (SLL). Fondée il y a un an à l’initiative de journalistes du quotidien, au coeur de sa crise économique, elle a collecté près de 150 000 euros auprès de quelque 5 000 adhérents. Rapidement identifiée comme un pôle d’opposition aux projets de la direction, elle n’avait pas été conviée à participer à l’organisation du Forum (de même que les journalistes, explique l’un d’eux). « Max Armanet nous a interdit de déposer notre quatre-pages dans la Maison de la culture, afin de « ne pas brouiller le message de Libération  » » , relate Thomas Hearns. Un article, en particulier, aurait fait bondir Laurent Joffrin : l’entretien avec le journaliste François Weinz-Dumas, faisant état de la « situation humaine difficile » dans un quotidien passé en dix-huit mois de 348 salariés à 202.

Appliquant les consignes de sécurité ­ données par Libération ou la préfecture, les témoignages divergent ­, les forces de l’ordre font le tri au faciès à l’entrée de la MC2. Zina Rouabah, présidente de la SLL, dûment munie de son ticket d’entrée, est bloquée sur le trottoir. « Moi, une historique du journal ! » , s’étrangle-t-elle. Et puis c’est l’incident. Un supposé trublion est brutalement expulsé. Commotionné, il fera un bref passage à l’hôpital. Il s’avère qu’il s’agit de Mikael Garnier-Lavalley, l’un des secrétaires de la SLL. « Max Armanet et l’attaché de presse de la mairie se sont confondus en excuses, répétant qu’il s’agissait d’une bavure ! » , relate Thomas Hearns.

« C’est bien à l’image de la fracture qui existe au sein du journal, avec une direction isolée de la rédaction et plus que réticente vis-à-vis de la Société des lecteurs , estime Mikael Garnier-Lavalley. Ce forum, ça ressemble à de la communication pour montrer à l’extérieur que Libé est vivant, et qu’il peut attirer des investisseurs [^4]. Nous, on s’est levés à 5 heures du matin et on a pris deux jours de RTT pour être à Grenoble. On voulait aider le journal… »

[^2]: Libération du 13 septembre 2007.

[^3]: La ville de Grenoble, le département de l’Isère et la région Rhône-Alpes ont pris en charge une large part de l’organisation.

[^4]: Le déficit s’élevait à 3 millions d’euros en juin dernier et le tribunal administratif ne statuera sur le sort du journal qu’à la fin de l’année.

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