Un imperceptible tremblement…
dans l’hebdo N° 968 Acheter ce numéro
Et si, derrière le discours bravache, le bras du matamore commençait à trembler ? On avait un peu cette impression en entendant Nicolas Sarkozy, mardi, décliner son programme social. Tout le monde a noté la rupture de ton au moment d’aborder l’épineuse questions des retraites. Comme si le président de la République entrait à reculons dans cet affrontement qu’il a si souvent promis et appelé de ses voeux. C’est qu’en s’attaquant, notamment, aux régimes spéciaux, Nicolas Sarkozy sait qu’il a quelques mauvais coups à prendre. Et que l’image immaculée du politique volontariste qui aime la baston risque d’être sérieusement écornée si l’affaire tourne mal. Car voilà bien le paradoxe de Sarkozy : ses mouvements de menton ont fini par le rendre vulnérable à la moindre anicroche. Certes, l’adversaire n’est pas très fringant. La défaite politique de mai et juin a rejailli sur le mouvement syndical. Et les dirigeants des centrales eux aussi paraissent fébriles. Tous, àleur façon, ils ont tenté de dédramatiser les échéances en sortant de leur drôle de rendez-vous, samedi et dimanche, à la Lanterne, ce pavillon versaillais où les Sarkozy aiment décidément évoquer les privilèges des salariés. Pendant que le Président n’en finissait pas de gloser sur la méthode plutôt que sur le contenu, et de renvoyer la responsabilité du conflit au sein de l’entreprise, les syndicalistes semblaient vouloir se rassurer en répétant que leur hôte ne veut pas « passer en force ».
Personne ne semble vouloir le conflit. Mais tout le monde est convaincu qu’il est inévitable. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est sur l’agenda de la droite libérale, et même de la droite libérale européenne. L’offensive sur les retraites, comme sur le service minimum, est une commande du Medef. Il ne s’agit pas tant des retraites, et encore moins de service minimum, que de l’affrontement symbolique dont la droite a besoin pour traduire sur le terrain économique et social ses victoires politiques du printemps dernier. Après avoir brisé le Parti socialiste, avec il est vrai la complicité idéologique de celui-ci, il faut amener les syndicats à résipiscence. Dans un premier temps, il s’agit de les isoler dans l’opinion. Comme toujours pendant les veillées d’armes, nous voyons fleurir les sondages. Tous nous disent combien « les Français » en ont marre de cette injustice des régimes spéciaux de retraite. On sait ce que valent ces « instantanés » : à la première escarmouche, l’opinion peut basculer. On se souvient comment, en 2003, les Français avaient rapidement changé d’avis à propos du CPE. Cela par sympathie pour les manifestants, mais aussi parce que d’autres arguments étaient devenus audibles. Aujourd’hui, l’information dominante repose sur deux contre-vérités qui, lorsqu’elles ne sont pas énoncées, sont au moins suggérées.
La première laisse entendre que les bénéficiaires des régimes spéciaux, pour parler trivialement, piquent dans la poche du voisin. Notre poche.
Or, c’est évidemment faux. Les prestations supplémentaires dont bénéficient par exemple les cheminots ne sont pas financées par les salariés du privé qui compenseraient ainsi un manque à gagner, mais en grande partie par des charges sociales propres. Autrement dit, un supplément de cotisations que les cheminots paient eux-mêmes.
L’autre argument se pare des vertus de la morale. Ce ne serait tout simplement « pas juste » que certains puissent partir en retraite après 37 ans et demi d’annuités, alors qu’il faudrait 40 ans et plus pour d’autres. Or, faut-il le rappeler, cette inégalité de traitement ne résulte pas de la volonté des cheminots mais de la réforme Balladur de 1993. Ils ont simplement mieux résisté en raison de leur position stratégique dans la société. Mais leur défaite ne donnerait rien de plus aux autres. Elle préparerait au contraire de nouvelles offensives (pendant que Nicolas Sarkozy s’exprimait, la présidente du Medef en appelait déjà à une «~réforme profonde~» du régime général). Et elle n’empêcherait pas les entreprises publiques ou privées d’encourager les départs précoces à la retraite pour les remplacer par de plus jeunes salariés, réputés moins chers. En revanche, ces futurs retraités ne bénéficieraient plus des mêmes prestations. Toute la société aurait ainsi été tirée vers le bas. Mais, plus que tout, c’est un autre argument qui nous fait réagir. Revoilà ces économistes libéraux indignés par « l’injustice sociale » et ces journalistes donneurs de leçons qui dénoncent sans faiblir les « privilèges » des cheminots. Bien sûr, nous sommes tous les privilégiés de quelqu’un : le smicard est le privilégié du chômeur, et le chômeur est celui du RMiste. Mais est-on sûr que, dans la société du CAC40 triomphant, le comble de l’injustice soit du côté où l’on veut que nous portions le regard ? L’absurdité de ces arguments devrait nous ramener à l’essentiel. C’est une bataille politique qui s’annonce. En laissant paraître ses craintes, Sarkozy fait peut-être pour la première fois… de la politique.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.